LA LITTÉRATURE SERBE DANS LE CONTEXTE EUROPÉEN
TEXTE, CONTEXTE ET INTERTEXTUALITÉ

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Bogusław Zieliński
Université dAdam Mickiewicz à Poznań, Pologne

LA  MYTHIFICATION  DE  L’ESPACE  DE L’EUROPE CENTRALE 
DANS LA LITTÉRATURE  SERBE  CONTEMPORAINE


Résumé

Projet européen visant à définir une identité régionale supranationale dont le sujet serait les pays et cultures au centre de l’Europe situés entre les deux centres européens du pouvoir que sont l’Allemagne et la Russie, l’Europe centrale s’est trouvée jusqu’en 1989 très fréquemment repré­sentée dans les littératures de ces contrées telles l’Arcadie et l’Atlantide, ou encore Jérusalem.

Dans la prose de Dragan Velikić s’opère une translation dans l’espace, l’Europe centrale devenant une Fédération adriatico-danubienne que symbolise le triangle formé par les villes Pula/Rijeka-Vienne-Belgrade. Parmi les narrations centre-européennes de la prose serbe contemporaine figurent divers modèles littéraires de présentation de l’Holocauste dont l’évolution est patente chez Danilo Kiš, Aleksandar Tišma et Judita Šalgo.

Les modèles de mythification de l’Europe centrale dans la prose serbe contemporaine prennent trois formes. La première synthétise l’opposi­tion de l’Arcadie et du pays de la Mort ; la deuxième en appelle à la symbolique de l’agneau immolé ; la troisième actualise la figure de l'Ulysse serbe.

Mots-clés

Europe centrale, Mitteleuropa, Holocauste, littérature serbe contemporaine, Danilo Kiš, Aleksandar Tišma, Dragan Velikić, David Albahari, Judita Šalgo.

 

1. Remarques préliminaires

Les difficultés pour cerner l’Europe centrale. Dire qu’une tentative visant à définir l’Europe centrale se révèle une tâche malaisée est déjà un truisme. La notion d’Europe se définit diversement, mais il apparaît que l’Europe constitue une entité organique car, sur l’espace qu’elle recouvre, s’est développée une structure politique, économique, sociale ou morale unique. La multiplicité des significations est liée au nombre de termes pas toujours spécifiques : Europe centrale, Mitteleuropa, bassin centre-européen, région du Danube, Donauraum, Europe centrale, East Central Europe, Zwischeneuropa, Grossmitteleuropa[1]. Il semble que l’abondance des déterminations négatives reflète le désarroi des chercheurs désireux de mettre en œuvre un appareil universel à même de décrire les aspects divers et variés de l’Europe centrale – géographique, historique, sociologique, politique, culturologique et esthétique. Les auteurs qui se penchent sur ce problème parlent d’une Europe centrale « introuvable » (M. Foucher), « fictive » et « rêvée » (Konrád), symbolisant une « destinée » aux frontières « imaginaires » (Kundera), « indéfinie, insaisissable, éphémère dont les contours varient en fonction des objectifs que l’on s’assigne » (Foucher), voire d’un être « fantomatique, nébuleux » (Szücs), un concept « vide » et « sujet à discussion » (Foucher). Les géographes des XIXe et XXe siècles ont mis en évidence la complexité et la nature contradictoire des critères visant à une classification de l’Europe centrale. Himley et Kretschmer ont évoqué l’« individualité indéterminée » et le caractère « éphémère » de la région. Parce que limitrophe des zones occidentale et orientale, elle se définit le plus souvent par l’interaction de certains facteurs : géographiques[2], agricoles[3], culturels[4], historiques[5], et religieux.

En substance, les difficultés que l’on éprouve pour définir l’Europe centrale émanent du caractère antinomique des divers critères de classification auxquels il est recouru pour cerner cette région. L’historien hongrois J. Szücs explique le conflit qui oppose les critères culturel et économique, le premier respectant la frontière de l’ex-monarchie carolingienne, le second la repoussant à celle qui sépare Slavia Latina et Slavia Orthodoxa, abandonnant par-là même entre ces deux frontières une contrée ni occidentale ni orientale[6].

L’Europe centrale, notion géographique. Dès l’entre-deux-guerres, les représentants des écoles géographiques française et hongroise avaient exclu l’Allemagne et la Russie du champ sémantique que recouvre la notion d’Europe centrale. Pal Teleki définit l’Europe centrale comme « bassin danubien », comme « l’Europe du Danube », une sorte de zone de transit ayant pour centre la Hongrie et pour point d’ancrage principal l’Europe[7]. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Auguste Himley entend par Europe centrale la plaine qui, excluant la Scandinavie et la mer Méditerranée, s’étend entre la France et la Russie[8]. Vu la Première Guerre mondiale et compte tenu du paradigme géopolitique, Rodolphe Kjellén définissait une « Grande Europe centrale », qualifiée de « région critique », et distinguait deux Europes, l’une, « l’Europe centrale allemande », l’autre, liée à l’Autriche-Hongrie et étendue aux pays situés plus à l’est, jusqu’à la Russie[9]. Traditionnellement, la pensée italienne entend par Europe centrale les contrées qui séparent les Europes occidentale et orientale. Du point de vue de la géologie, cette région est une zone de passage entre les types occidental-atlantique et oriental-continental. L’Europe centrale possède une identité clairement exprimée, ce qui la distingue de celles atlantique, méditerranéenne, et orientale[10].

Mitteleuropa. L’Europe centrale dite Mitteleuropa est une notion géopolitique qui repose sur la science et de la géographie politique allemande et qui est apparue pendant la Première Guerre mondiale sous la plume de Friedrich Naumann dans le contexte d’une intégration régionale et d’un rapport de forces stratégique global[11]. Les sciences allemande et française sont aux antipodes l’une de l’autre s’agissant de la définition de l’Europe centrale. G. Wirsing et Naumann la voient dans le contexte d’une inexorable intégration dans l’Europe allemande. Ces tendances de l’école géopolitique allemande forgent les termes de Mitteleuropa, Südost-Europa, Süd-Ost-Raum, Donauraum, et les docteurs français (Pierre George, Jean Tricart) optent en réaction pour l’appellation Europe centrale, mettant ainsi en lumière le rôle joué par le monde slave en Europe centrale. Ces termes colorent d’une signification géopolitique non exempte de tendances hégémoniques[12].

L’Europe centrale, concept culturel. On en vient à défendre l’Europe centrale en tant que phénomène culturel dès lors que l’on avance des arguments géographiques, historiques et politiques. Les conceptions culturelles entrent alors en vigueur. D. Ďurišin pointe l’existence de diverses dominantes et faits (culturels, historiques, ethniques, linguistiques, géographiques ou politiques) comme éléments constituants du concept d’Europe centrale[13] : celle-ci est dépourvue de frontières précisément tracées, de centre permanent, et se  distingue par son polycentrisme[14]. Dans son texte classique, Milan Kundera définit l’Europe comme un espace culturel qui a assimilé le triple héritage du judaïsme, de la Grèce et de Rome[15]. Par ailleurs, Kundera fait ressortir la hantise permanente de voir menacer l’existence des peuples[16].

Les frontières. Les difficultés rencontrées pour fixer les frontières de l’Europe centrale sont soulignées par la plupart des auteurs traitant ce thème. Les définitions culturelles de l’Europe centrale ne peuvent toutefois pas ignorer l’espace qui se rapporte aux cultures nationales de cette région : « L’Europe centrale n’est pas un concept géographique », écrit Czeslaw Milosz ; « Elle n’est pas un État » affirme Kundera, mais une culture, un destin[17]. Ce qui définit et détermine l’entièreté centre-européenne, dit encore Kundera, ne peut être des frontières, mais une situation fondamentale, vécue en commun, qui voit perdurer la même mémoire, la même expérience, la même tradition commune[18].

Le territoire que recouvre l’Europe centrale est délimité par des villes, de Budiszin et Bratislava jusqu’à Vilnius et Lviv à l’est, mais aussi Zagreb, Novi Sad et Ljubljana au sud ; il coïncide avec les frontières que fixe la ligne dite de Huntington[19]. Nul besoin n’est d’ajouter que les frontières de l’Europe centrale se superposent à « l’ex-ligne marquant la frontière culturelle entre l’est et l’ouest » et, conséquemment, à celle séparant les sphères des cultures latine, Slavia Romana, et byzantine, Slavia Orthodoxa[20]. L’Europe centrale met en évidence, au préjudice de la Russie, la continuité de son lien avec l’héritage culturel et civilisationnel de l’Europe occidentale laissant fréquemment de côté également l’Alle-magne et l’Autriche[21]. Zoran Konstantinović, comparatiste serbe, a émis une thèse non dépourvue d’intérêt selon laquelle il conviendrait de repousser la frontière méridionale de l’Europe centrale de sorte à englober aussi la Serbie[22].

À l’évidence, les frontières de l’Europe centrale peuvent se représenter et se déterminer suivant deux axes : le premier, vertical, de la Baltique à l’Adriatique ; le second, horizontal, d’est en ouest. L’axe horizontal a une fonction quantitative et répond à une interrogation : quel pays fait partie de l’Europe centrale ? En sont exclues la Russie et l’Allemagne à qui est étrangère la devise centre-européenne : « un maximum de diversité dans un minimum d’espace ». L’axe vertical, quant à lui, remplit une fonction qualitative et répond à la question : dans quelle mesure se manifestent les particularités du « centre-européanisme » ?

Les manières de concevoir la notion de culture de l’Europe centrale. Dans les littératures des pays de l’Europe centrale, et jusqu’en 1989, les manières les plus fréquentes de concevoir la notion de culture de l’Europe centrale étaient les suivantes :

l’Arcadie, à savoir un espace culturellement identifié avec les pays centre-européens, pays à qui on prête une identité particulière, spécifique, que constituent des éléments choisis (sélectifs) de cultures nationales et supranationales (courants, directions, catégories et valeurs esthétiques), et qui, pour partie, suivent le modèle des cultures nationales, en partie aussi existent en parallèle avec elles ou construisent un modèle culturel parallèle qui s’élève au-dessus des modèles des cultures nationales.

L’Atlantide, à savoir un espace culturel ayant pour fonction l’opposition à la domination soviétique, une Atlantide qui aurait été emportée par le déluge communiste. Ce concept est apparu dans les écrits d’émigrés et de dissidents (entre autres, Havel, Konrad, Milosz, Michnik). Dans l’appel Central Europe Redivivus publié en 1993, Konrad a proclamé le « retour » triomphal de l’Europe centrale.

Jérusalem, à savoir la mythification d’une catégorie dont l’image modélisée apparaît dans les œuvres de Schulz, Kafka et Kiš, et dépeint l’espace nostalgique de la monarchie austro-hongroise au temps de l’Apocalypse, de l’extermination, ou ayant la préscience prophétique de son anéantissement.

2. L’Europe centrale serbe, réflexe de l’interespace

L’Europe centrale n’est pas un sujet fréquemment abordé dans la littérature serbe contemporaine bien qu’une région, la Voïvodine, en soit une composante. Confirme la présence insuffisamment exprimée du mythe de l’Europe centrale dans cette littérature le nombre insuffisant de recherches qui tiendraient la littérature serbe dont, en particulier, celle de la Voïvodine, comme partie intégrante de l’espace culturel supranational de l’Europe centrale. À maintes reprises présentée dans le rôle de Jérusalem, l’Europe centrale de Danilo Kiš – celle de la multiplicité des langues, cultures et traditions, mais vue de la perspective d’une « civilisation à son crépuscule », révélant ainsi le visage cruel de l’époque contemporaine – fait en principe figure d’exception.

Dans le discours serbe stéréotypé, l’Europe centrale apparaît tel un espace périphérique car la communication culturelle et littéraire de la Serbie avec l’Europe ne s’est pas faite par le biais de l’Europe centrale mais s’est en quelque sorte abreuvée directement à la source : l’Europe occidentale. Cette spécificité particulière d’absence de toute symétrie entre « l’Européanisme occidental » géoculturel de la prose serbe contemporaine et son paradigme centre-européen supranational s’observe parfaitement dans l’œuvre de David Albahari, Svetislav Basara, Mileta Prodanović et d’autres encore. Seule une poignée d’écrivains, en tout premier lieu Dragan Velikić, Radoslav Petković et Vojislav Despotov, donnent à observer la spécificité culturelle de ces contrées.

Danilo Kiš a proclamé une double appartenance à l’Europe et à l’Europe centrale. Dans un certain sens, il a fait le lien entre les Balkans et l’Europe centrale : « Je me suis donc, au sens spirituel, transposé [les caractères italiques sont de l’auteur, B. Z.] de Yougoslavie en Europe centrale. » Intéressante est la mise en opposition de la Yougoslavie et de l’Europe centrale, opposition que traduit le choix du verbe « transposer ». Pour accentuer le caractère particulier de ces deux régions géoculturelles, Dragan Velikić évoque l’état de « suspension », le fait d’être « entre » :

Nous ne pouvons simplement descendre le Danube et pénétrer dans un autre monde. Nous sommes en permanence quelque part entre, et nous bourdonnons comme des mouches entourées d’yeux écarquillés sur elles des deux côtés d’une vitre.[23]

Dans son essai Varijacije na srednjoevropske teme [Variations sur des thèmes centre-européens], Danilo Kiš fait observer l’existence d’une certaine « poétique centre-européenne » avec laquelle il ressent une proximité[24]. Dans Gorki talog iskustva [Le Résidu amer de l’expérience], il se qualifie d’écrivain centre-européen mais, dans le même temps, par le parallèle qu’il établit entre les espaces centre-européens et yougoslave, il fait le constat du rôle négligeable que jouent les « petits peuples et les petites langues » dans le monde[25]. Dragan Velikić constate quant à lui la formidable persistance et vitalité du mythe de l’Europe cen­trale qui a survécu à la construction du rideau de fer, ainsi que son carac­tère universel car, dit-il, l’Europe centrale est après Rome la première communauté multiculturelle et multinationale à avoir imposé la tolé­rance :

Il y a peu d’espace sur la sphère terrestre dont le mythe a une durée de vie aussi longue. La raison de la popularité et du côté actuel de l’Europe centrale réside peut-être dans le fait que son existence vit transposée dans la littérature [les caractères italiques sont de l’auteur, B. Z.]. Sa force cohésive existe aussi en littérature. […] C’est pourquoi l’Europe centrale a survécu aux guerres, aux conférences de paix et aux rideaux de fer. […] À mes yeux, l’Europe centrale est une patrie littéraire.[26]

L’Europe centrale, par ailleurs catégorie centrale du débat reposant sur l’identité supranationale vis-à-vis de l’est et de l’ouest européens, est une région construite et non homogène. Les écrits polonais qui mythifient l’Europe centrale étendent sa superficie vers l’est au-delà de la région mère : du Podolje, à la Galicie, à la Bukovina, à des contrées aux confins de la monarchie K. und K., « impériale et royale », et même au pays de Vilnius. Ils constituent le mythe d’une frontière orientale, ceux d’une « patrie privée », variantes de l’idéal « mon Europe ». L’Europe centrale chez Dragan Velikić se déplace dans l’espace pour constituer une Fédération adriatico-danubienne symbolisée par le triangle Pula-Rijeka-Vienne. La caractéristique suivante par laquelle se différencient les thématisations serbes de l’idée d’Europe centrale est la présence des différents modèles de présentation littéraire de l’Holocauste, modèles qui découlent des œuvres de Danilo Kiš. La prose de Radoslav Petković en vient à enchevêtrer les trames et les motifs caractéristiques d’une centre-européanité culturelle et littéraire[27] et les idéaux occidentaux qui affirment l’héritage multiculturel de l’Europe puisé à de multiples sources[28].

Réaction contre l’amnésie et le refoulement des traditions germano-romantiques dans la mémoire collective serbe, la prose de Velikić tend à établir un paradigme de voyages mentaux, nostalgiques, familiaux, existentiels, et, conséquemment, construit l’espace d’une Fédération adriatico-danubienne multiculturelle et réelle, mais défunte, fictionnelle, préservée uniquement dans la mémoire. L’Adriatique et le Danube jouent un rôle majeur dans l’organisation de l’espace de cette Fédération car le Danube en est la colonne vertébrale mais, dans le même temps, en constitue la frontière.

Le Danube et la Save en tant que frontière

Dans la littérature serbe, le rôle octroyé aux deux fleuves, dans un espace symboliquement organisé, est ambivalent. D’un côté, ils constituent une frontière permanente, clairement établie ; de l’autre, leur stature se trouve amoindrie et ils n’apparaissent pas de manière adéquate dans la littérature en éléments d’une réalité symboliquement structurée.

Dans le discours de chaque jour, le Danube et la Save apparaissent telle une frontière permanente. Dans le recueil de nouvelles de David Albahari Opis smrti [Description de la mort], le narrateur déclare : « Au terme d’un nombre conséquent d’heures passées à l’observer, mon père en est arrivé à affirmer que le Danube est une mer qui, à intervalles réguliers, s’anime d’un flux et d’un reflux, et que la rive opposée est en réalité celle d’une île peu connue plantée de rares arbres. »[29] Dans le roman Pijavice [Les Sangsues], il constate : « […] au bout du compte, j’ai violemment critiqué notre mentalité que, traditionnellement, l’eau répugne, et nos autorités municipales qui rejettent l’idée que le Danube et la Save sont la colonne vertébrale de notre ville. »[30] La frontière que marquent le Danube et la Save fut à maintes reprises franchie par des insurgés en lutte pour leur indépendance, au nombre desquels Karađorđe mais aussi les juifs qui, délaissant Belgrade pour Zemun, étaient en quête d’un havre de sécurité et de tolérance[31]. Du doigt, le narrateur de Mamac [L’ppât] suit le cours de la Save tout en relatant le sort qui fut celui de sa mère pendant la guerre (« mon index vogu[ait] sur la Save »[32]. Le recours aux termes Srbin (au sens ethnique national) et Srbijanac (le citoyen serbe, à quelque nation qu’il appartienne) s’est développé conjointement avec l’apparition d’une frontière plus nettement établie, d’abord sur le Danube, puis, de manière moins franche, sur la Drina, et s’est fait jour dans le poème de Branko Radičević Brankovo kolo [La Ronde de Branko]. On pense que le terme Srbijanac est apparu chez les Serbes vivant hors de Serbie et par-delà la frontière nord délimitée par le Danube, afin de déterminer l’espace géographique où vivent les Serbes habitant la Serbie au sens (géographique) le plus restreint.

Dans leur seconde acception, le Danube et la Save sont une frontière géoculturelle. Inutile de préciser que les frontières de l’Europe centrale se superposent à la ligne culturelle qui jadis séparait l’Orient de l’Occident, qui, en d’autres termes, délimitait les sphères d’influence des cultures latine, Slavia Romana, et byzantine, Slavia Orthodoxa[33]. C’est là une grande ligne historique qui, des siècles durant, sépara les catholiques des peuples musulmans et orthodoxes. Dans les Balkans, s’entend, elle aura coïncidé avec la frontière historique séparant les empires austro-hongrois et ottoman.

« Face à la carte de l’empire romain, dit le narrateur de Snežni čovek [L’Homme de neige], j’observais le Danube, ce gros ver, qui depuis toujours délimite les mondes. Les rivières, me suis-je dit, ne sauraient se traverser car on ne peut être sur les deux rives simultanément, l’autre rive existera toujours, suffisamment différente […] »[34]. Dans son roman Danteov trg [La Place Dante], Dragan Velikić met l’accent sur le Danube, le baroque, la sécession et la fonction culturelle et créatrice des villes et de l’intelligentsia dans l’espace centre-européen :  « Le Danube, gris et lent, charrie la confusion des villes qu’il arrose canalisé entre des ponts baroques et des sentiers de promenade en pierre où, l’été, prennent le soleil des clochards, des vendeurs de livres d’occasion, et des peintres en mal de reconnaissance. »[35]

3. De  l’Holocauste  au  « continent  féminin »

De par sa structure riche en motifs, idées et métaphores, l’œuvre de Danilo Kiš est profondément enracinée dans la structure sémantique de la réalité multiculturelle de l’Europe centrale : Atlantide chamboulée qui a sombré dans la mer Pannonienne, Terre nouvelle qui a émergé lorsque la mer s’est retirée au-delà du Danube (le Danube, pilier et colonne vertébrale de l’Europe centrale, constitue l’expérience commune des écrivains tournés vers cette idée d’Europe centrale) ; l’Europe centrale du baroque, de la sécession de Vienne, de la psychanalyse, de l’expressionisme, et de la résistance au totalitarisme. Par ailleurs, elle existe dans l’œuvre de Kiš tel un riche registre de particularismes : Kafka, Broh, Muzil, Krleža, Karl Kraus, Freud, Otto Weininger, et, en retrait, Kundera, Konrad, Milosz.

Au cœur de l’Europe centrale se trouve le noyau du cauchemar européen : Auschwitz. Kiš est l’écrivain de « l’effet de l’Holocauste » qu’il observe à travers le prisme d’une famille, d’un outsider juif d’Europe centrale et d’une métaphore biblique. À de très rares exceptions, et uniquement dans certaines interviews, Kiš a utilisé le terme Holocauste[36]. Le prisme de l’effet Holocauste a orienté l’attention de l’écrivain vers le « massacre » des juifs, leur « persécution », leur « disparition » et « le déluge pannonien » :

J’ai survécu, miraculeusement, au massacre des juifs et des Serbes à Novi Sad en janvier 1942. […] Mon père a ‘disparu’ à Auschwitz avec quasiment tous les siens, avec sa famille au sens large.[37]

À un autre endroit, il pointe le fait que « ce massacre de la population serbe et juive dans ces régions a été appelé ‘jours de froid’, à croire qu’en usant de cette métaphore météorologique, on voulait se garder d’utiliser la construction véritable de ‘jours de sang’ »[38].

La violence, le mal, le néant sont les thèmes-clés de l’œuvre d’Aleksandar Tišma qui, dans différents romans, attire l’attention sur la persécution des juifs en Europe centrale. Les « jours de froid » sont pareillement le thème de Knjiga o Blamu [Le Livre de Blam]. Upotreba čoveka [L’Usage de l’homme] et Kapo [Le Kapo] relatent, eux, la réalité des camps fascistes. La violence et l’humiliation imprègnent l’existence d’un grand nombre de personnages qu’il met en scène. Il adopte une position de chroniqueur, de peintre mélancolique des destinées humaines façonnées par quelque chose qui échappe à la fois à leur entendement et à leur volonté. Il ne se focalise pas sur les juifs peuple persécuté, contraint à un exode de plus dans ses errances, mais se confronte à une pensée plus générale : l’anéantissement, la déshumanisation de l’humanité, le mal inhérent à la nature de l’homme. Les racines sémites des héros de ses romans sont au premier chef une flétrissure et non un motif d’orgueil. Tišma ne dépeint pas l’Holocauste comme un génocide perpétré sur tout un peuple, mais comme l’anéantissement du monde multiculturel du Novi Sad d’avant-guerre. Danilo Kiš et Aleksandar Tišma exposent la question de l’anéantissement des juifs sous un angle différent de celui des écrivains polonais (T. Borowski, N. Nalkowska, Z. Kossak-Szczucka), ce qui, il va de soi, ne réduit en rien l’identité centre-européenne de ces auteurs, mais présente différemment le caractère de la dominante « Grande Apocalypse ».

Le continuateur de la thématique juive dans la littérature serbe contemporaine est David Albahari – sur les brisées de Danilo Kiš. Il enrichit « l’effet de l’Holocauste » développé par ce dernier en se plaçant dans une perspective post-yougoslave. Dans L’Appât, le décès de la mère du narrateur, rescapée de l’Holocauste, survient « alors qu’une nouvelle guerre s’est déclenchée […] et bien qu’elle se soit tenue loin des champs de bataille, elle en est la victime »[39]. Dans Gec i Majer [Goetz et Meyer][40], Albahari délaisse la stratégie de l’autobiographie précédemment mise en œuvre pour en appeler aux sources historiques et reconstruire le massacre des juifs belgradois dans le camp de concentration installé sur le site de la foire de Belgrade. Ainsi, un bon demi-siècle plus tard, le thème de l’Holocauste fait son retour dans la littérature serbe, avec la plus grande cruauté qui soit et à la veille de la désintégration de la Yougoslavie (l’année 1990 étant le cadre extérieur du roman). Son traitement est néanmoins différent : en tant que génocide, l’Holocauste dans Goetz et Meyer en appelle à l’histoire des expériences et des micro-mondes privés[41]. Ce thème de l’Holocauste revient par ailleurs de manière sporadique chez Dragan Velikić, par exemple dans les mentions qui sont faites du personnage de David Goldberger, juif de Varsovie disparu à Auschwitz.

La manière réaliste d’Aleksandar Tišma met un point final à la thématisation de l’Holocauste jusque-là en vigueur dans la littérature serbe. Dans son roman Put u Birobidžan [Voyage au Birobidjan], Judita Šalgo abandonne le motif de l’Holocauste et en revient au mythe juif de la quête de la Terre promise (d’un État commun) qui rejoint le projet utopique d’un continent féminin. Les thèmes bibliques, les conventions du roman picaresque, et la poétique postmoderne lancent au lecteur d’inattendus défis. Le toponyme Birobidjan désigne un « continent féminin », une « terre exempte de tueries », un « asile d’aliénés », une « utopie », une « patrie de rechange ». Ce roman a pour figure centrale une ex-patiente de Freud et activiste humanitaire, Berta Pappenheim, ce qui indique que Birobidjan symbolise même un idéal de justice sociale, une certaine forme d’Internationale égalitariste féminine. Birobidjan est l’autre nom que porte l’exode d’Européennes humiliées et oppressées qui cherchent à retrouver leurs pays d’antan et leur dignité, dignité qu’elles parviennent à recouvrer par le truchement des guerres, de la prostitution, des prisons, des hôpitaux.[42] Le roman de Judita Šalgo prend la forme du roman picaresque, biographique, et adopte une structure narrative mythique. Le Voyage au Birobidjan offre une variation sur les thèmes mythiques juifs de l’errance, de la recherche d’une patrie, et se rapporte aux privés de droits, au mystère de la terre mythique inséré dans la langue de la folie et de la maladie. L’héroïne principale, Berta Pappenheim, est la figure allégorique incarnée de l’errance et de la quête, de la judaïté et de la féminité.[43]

4. Entre  l’Arcadie  et  la  prison  des  peuples

L’image de l’Autriche-Hongrie, pays de bonheur et d’ordre dont on éprouve la nostalgie, n’apparaît que de manière exceptionnelle dans la littérature serbe contemporaine. La mère du narrateur du roman L’Appât de David Albahari se souvient que dans sa jeunesse, elle n’était pas surprise d’entendre dire qu’« autrefois, du temps de l’Autriche-Hongrie, la vie était belle, paisible, que chacun savait qui il était et quelle était sa place »[44]. L’histoire familiale des héros du roman Severni zid [Le Mur nord] de Dragan Velikić débute avec la chute de la monarchie K. und K. L’image nostalgique de l’Autriche-Hongrie se double d’une critique de la Yougoslavie dont l’identité, chez Velikić, prend la forme d’une mosaïque hybride et d’une unité utopique.

Albahari exprime clairement la construction idéologique de la Yougoslavie tel un rêve dans un rêve, d’un rêve utopique dans le rêve idéologique que faisaient ses bâtisseurs politiques et puissants. « [La Yougoslavie], déclare le narrateur de L’Appât, était un rêve qu’il vivait dans le rêve d’un autre. »[45] Cette métaphore contredit grandement la réalité yougoslave qui, de manière plus radicale encore, s’observe dans la prose de David Albahari d’une perspective provinciale ‒ de Peć au Kosovo ou de Ćuprija au sud :

J’ai senti les gens s’endurcir, sembler ne plus croire en personne, comme si la compassion était désormais éteinte. Et n’existait plus. La vie se partageait en temps d’avant la guerre et en temps intemporel.[46]

Le voyage, moyen de communication culturelle

Chez certains écrivains serbes contemporains (Dragan Velikić, Svetislav Basara, Radoslav Petković), l’Europe centrale apparaît sous la forme d’un voyage, forme qui est liée à l’actualisation du canon culturel serbe ; elle ouvre de nouvelles voies de communication culturelle et s’évertue à trouver des partenaires pour engager le dialogue serbe. 

Le voyage devient un thème majeur de ces quêtes littéraires qui, de façon générale, sont en quête de contacts et de moyens de confronter le modèle culturel autochtone avec le monde extérieur. Dans ses romans Astragan (Astrakan) et Slučaj Bremen [Le Cas Brême], Velikić porte un regard nostalgique et approbateur sur la tradition de l’Autriche-Hongrie. Dans L’appât, la mère que David Albahari dépeint avec une certaine distance quelque peu ironique, se qualifie de « pionnière de François-Joseph » :

Jamais je n’ai compris pleinement cette dernière affirmation, mais parmi les multiples interprétations, j’ai été très souvent enclin à faire mienne celle selon laquelle quelqu’un qui trouve l’empire habsbourgeois à son goût – car, en fait, la mère est précisément née sous la monarchie austro-hongroise –, ne peut se satisfaire d’aucune autre création étatique. S’il y a là une certaine part de vérité, alors la mère s’est trouvée en permanence sur une pente descendante : de l’empire, en passant par le royaume yougoslave d’avant-guerre, la prétendue démocratie de l’immédiat après-guerre, jusqu’au communisme du parti unique.[47]

Chez Dragan Velikić, le voyage revêt plusieurs significations. La première est la découverte des villes à bord du « voilier du XXe siècle », le tramway qui se rattache au projet austro-hongrois de modernisation. « Au début du siècle, les tramways croisaient dans les villes de l’Europe centrale. […] Le tramway est la magie de la ville. »[48]. La perspective de parcourir une ville en tramway devient en même temps le moyen de pénétrer cette ville et ses phénomènes : « Le tramway est, pour notre héros, un point d’ancrage important, celui d’où s’observe la ville ».[49] Dans l’œuvre de Velikić, la centre-européanité est liée à l’exposition culturelle de la ville, à la valorisation du paradigme de l’urbanisation (circulation et communication : tramways, réseaux téléphonique et télégraphique, capacité hôtelière, administration d’une ville moderne, sans oublier les bibliothèques et les théâtres), mais aussi au paradigme de la biographie familiale. Il s’avère malaisé de différencier l’effet qu’a entraîné le projet de modernisation austro-hongrois de celui, plus ambitieux, d’européanisation de la civilisation des Balkans.

Dans la Fédération adriatico-danubienne, la ville est souvent la proie des sujets conflictuels du processus historique. D’un côté, elle devient l’objet du désir de ses « conquérants » mais, dans le même temps, elle est le signe du progrès personnel, familial, culturel, civilisationnel auquel ces mêmes « conquérants » et sa population aspirent. « Les partis en état de belligérance pour qui la ville, de tous temps, aura été un incommode corset, est-il dit dans Le Mur nord, se sont insinués dans sa vie en portant la menace d’y demeurer des années durant. »[50] « L’esprit campagnard de la Serbie, peuple de la discontinuité », tel est le diagnostic que pose Boris – le héros de Velikić, jeune étudiant en histoire de l’art qui a fui par crainte d’être mobilisé –, diagnostic posé quant à la situation qui « nous a contraints au rôle de paria de l’Europe » :

Dans la gorge des Balkans grondent les geysers, écume l’alevinier des infidèles qui, tous les demi-siècles, répandent leur malheur. Grisés par les visions, hypnotisés, ils restent figés devant les murailles de villes que leurs ancêtres ne sont parvenus à abattre et, se troublant à la vue de tours de pierres, ils enfoncent leurs longues barbes dans leurs capotes de soldats. Ils se remémorent les images de leur enfance, les murs peints des leurs chaudes chaumières.[51]

Deuxième point : les trains qui parcourent l’Europe en suivant les méridiens et les parallèles, qui ont contribué à la meilleure connaissance de l’Europe et qui sont devenus des sujets importants en littérature, voire des icônes au cinéma, éveillent la nostalgie de l’Arcadie qui existait en des temps révolus, parfaits. Le Nord-Express relie Saint-Pétersbourg et Paris, et le légendaire Orient-Express Londres, Paris et Istanbul. D’autres trains ont fait de sporadiques apparitions : l’Avala (Belgrade-Vienne), le Joseph-Haydn (Vienne-Hambourg), le Bela-Bartok (Budapest-Munich), le Varsovie-Express (Varsovie-Belgrade).

Et, enfin, troisième point : l’émigration, et, plus particulièrement, l’actualisation et la révision du mythe de la migration à l’origine duquel se trouve Miloš Crnjanski constitue un objet de réflexion pour les auteurs serbes contemporains, au nombre desquels Velikić et Petković. « Notre héros, dit Velikić au sujet de Marko, le héros d’Astrakan, voguait sur la ville ainsi qu’Ulysse sur les mers [les caractères italiques sont de l’auteur, B. Z.] »[52].

L’Arcadie et le pays de la Mort

Les modèles de mythification de l’Europe centrale dans la prose contemporaine serbe prennent trois formes. D’abord, elles réalisent la mise en opposition de l’Arcadie et du pays de la Mort ; ensuite, elles évoquent le symbole du sacrifice de l’agneau ; enfin, elles actualisent la figure de l’Ulysse serbe.

La manière idéologiquement engagée de fonctionnaliser l’espace de la Fédération adriatico-danubienne chez Velikić vise à opposer l’Arcadie et les Balkans mythifiés en terre maudite ravagée par la guerre, la violence et la mort. Ce discours s’imbrique dans la critique du régime de Slobodan Milošević et exprime l’engagement de l’écrivain. Dans As­tra-gan, Velikić présente avec âpreté l’opposition de l’espace symbolique de deux villes, Pula et Belgrade. La Pula nostalgique est celle de la jeu­nesse de l’auteur, Belgrade celle du total chaos de l’après-guerre, de la démoralisation, de sa vie d’adulte. Notamment dans le neuvième para­graphe de la quatrième partie de Hamsin 51, l’auteur prend pour cible de sa critique aiguisée les « chiens de guerre », à savoir les journalistes, les politiciens, mais aussi les gens ordinaires en Occident dont « l’industrie de l’information » satisfait les besoins car les « chiens de guerre », usant de leur richesse, « s’achètent des indulgences. »[53]

Velikić désigne la Belgrade actuelle sous le nom de « carrefour des vents à la confluence de la Save et du Danube » qui a vu son destin s’incurver et suivre une trajectoire déterminée par l’héritage ottoman,  mais il décrit également Belgrade en figure postmoderne d’une ville « galaxie cosmopolite qui rappelle les films d’horreur américains relevés d’une pointe d’orientalisme » car elle paie un prix élevé les méandres de la transformation postcommunisme. Une image semblable de Belgrade se dessine dans le roman postérieur, Le mur nord. La ville à la confluence de la Save et du Danube, en proie à l’érosion et à la décrépitude, menace ses habitants et ses environs tandis que ses fonctions s’amenuisent. Pula, la ville de Velikić enfant, est quant à elle dépeinte à l’inverse, sous les traits de l’Arcadie perdue : c’est un monde irrémédiablement disparu du fait des violents cataclysmes qui ébranlèrent l’histoire. L’image mélancolique de Pula fonctionne en tant que lieu où s’accomplissent de mystiques changements, un espace où s’en reviennent les naufragés de la vie, ceux qui recherchent leurs racines véritables et aspirent à atteindre la paix spirituelle.

Le roman Via Pula possède un paradigme autobiographique, mais sans être pour autant une chronique de l’enfance. C’est avant toute chose la chronique particulière d’une ville, une chronique qui a vu le jour dans l’imagination de l’un de ses habitants. Pula existe grâce à la signification mystique, symbolique qu’ont laissée ses habitants antérieurs et qui en a modelé l’esprit. Le particularisme de l’esprit de Pula crée une catégorie spatio-temporelle accessible à ses habitants par l’entremise du rêve. L’accès au caractère mystique de la ville se fait par des rêves qui « transforment le passé en présent ». Pareils rêves ne sont possibles qu’à Pula, Belgrade ne facilite pas le rêve.

La capitale serbe, dit également Velikić, est depuis toujours la porte de l’Asie et entretient des liens lâches avec l’Europe : « Belgrade a toujours été la porte de l’Asie d’où, cependant, se devine très clairement l’Europe ».[54] Pula demeure malgré tout une ville à la jonction de l’Orient et de l’Occident, le point de rencontre des civilisations, cultures et langues, dont l’existence fut par le passé menacée par des forces de caractère quasiment métaphysique. Ce qui n’implique cependant pas un jugement de valeur unilatéral, disqualifiant Belgrade qui s’avère être « la seule et unique ville cosmopolite des Balkans »[55] et, dans le même temps, « le paradis des écrivains » ; ce qui signifie que sa vitalité peut se révéler un déclic pour l’art et sa situation un atout majeur dans une existence plus lointaine »[56]. L’interpénétration des idées de renaissance et de résurrection, car « Belgrade ressuscite » tout en « s’effondrant » sous le poids de ceux qui lui ont redonné vie[57], met au jour le dramatique enchevêtrement des causes et des conséquences, ce que Velikić explique en reprenant « la psychologie de la raja »[58], terme utilisé par Jovan Cvijić, et une citation d’Ivo Andrić tirée de sa prose méditative Znakovi pored puta [Signes au bord du chemin] :

Nous voyons alors – écrit Andrić  – que la vie est ici préservée, mais à un coût plus élevé que la vie elle-même car la force exigée pour se défendre et tenir bon est un emprunt contracté auprès des générations futures qui sont nées endettées et oppressées. […] Ce qui existe et perdure est écorné ou gauchi tandis que ce qui naît et arrive à la vie est empoisonné dans le germe et aigri.[59]

L’agneau immolé ou le symbole de l’Astrakan

La perception qu’a Dragan Velikić de la substance de l’histoire dans l’espace centre-européen est proche de celle de Kundera, tout en soulignant que les peuples de la Fédération Adriatique-Vienne-Belgrade sont voués à un destin d’outsiders et de victimes[60], car ils [puisent] « leur sang au fond du chaudron de l’Europe centrale »[61]. La réalité chaotique de la patrie, sans logique du processus historique ni des lois de sa téléologie, qui s’abreuve de sang, est exprimée dans le modèle de littérature fantastique inspiré par Borges et Pavić. Le voyage littéraire dans de grands espaces, de l’Italie en passant par Rijeka, Pula, Vienne, Belgrade jusqu’à Saint-Pétersbourg, Moscou et Astrakan fait assumer au lecteur un rôle d’interprète du monde romanesque.

Dans le roman Astrakan de Velikić,  par exemple, l’espace est un labyrinthe et l’utilisation qui est faite de la métaphore de la fourrure d’astrakan est un modèle d’interprétation du monde et de métaphore épistémologique. Cette métaphore complexe de la fourrure d’astrakan, qui amalgame la symbolique de l’agneau, de la victime, de l’indélicatesse, de la beauté, de la mort, et des lointains peuples turco-tatares use de divers moyens tels que le créationnisme, la spatialité, le conceptualisme et une stratégie visant à dérouter le lecteur[62]. Pénètre l’histoire de la Fédération adriatico-danubienne, tout autant que la technique d’obtention de la fourrure d’astrakan, la logique du sang et de la mort qui procède de déterminations historiques et culturelles. L’auteur souligne la complexité et la contradiction interne de cette métaphore en révélant l’absurdité d’une pratique profondément enracinée dans la conscience :

Une croyance veut que la fourrure de qualité maximale s’obtienne par l’extraction de l’agneau non encore né du ventre de la brebis. Néanmoins, mettre une brebis à mort pour un agneau bien souvent mort à la naissance est loin de faire sens. Toutefois de tels spécialistes sont imprévisibles.[63]

L’Ulysse serbe

La troisième fonction de la mythification de l’espace de l’Europe centrale marque l’actualisation de la figure du Serbe vagabond, du voyageur, du Serbe chemineau, de l’Ulysse contemporain.

En premier lieu, Velikić revalorise la signification du phénomène de l’émigration qui, dans la tradition serbe était « étrangère et mystérieuse ». Y compris par son étymologie, ce mot heurte la structure tribale. Il n’existait que des « traîtres », « dissidents », « avortés », jamais des « solitaires », « distanciés », « rejetés ». « La tribu, par sa nature, ne reconnaît pas pareils qualificatifs. »[64] La politique et l’histoire sont deux éléments menaçants pour la subjectivité des héros. Ce sont elles qui, en fait, les contraignent à abandonner leur foyer, les condamnent à l’émigration politique, et, au bout du compte, constituent une source de problèmes dans l’acceptation de leur propre existence et identité. Ces questions sont traitées d’une manière singulière dans Le Mur nord. Ce roman rapporte la vision contemporaine du destin national serbe – du Serbe vagabond – développé par Miloš Crnjanski. Les héros de Velikić, comme ceux de Crnjanski, sont des êtres apolitiques, entraînés contre leur gré dans le tourbillon de l’histoire. Pour eux, souvent des déserteurs, l’émigration est une malédiction qui les arrache à leur foyer, qui accentue les difficultés d’adaptation à un nouvel environnement et interdit tout retour à Belgrade. Ils éprouvent comme un sentiment d’encerclement, d’incompréhension tant de la part des Autrichiens que des Serbes qui les tiennent pour des traîtres : « Ici, il n’y a pas de vie pour nous. À Vienne, je survis, sans aucune volonté ni raison de commencer une nouvelle vie. »[65] Le fleuve le plus long d’Europe, le Danube, se mue en frontière qui sépare les émigrés de leur patrie, en frontière métaphorique d’une Serbie rejetée hors de l’Europe. Afin de maîtriser l’isolation, la douleur, et le rejet qu’on leur oppose, les héros de Velikić se créent un espace à eux qui leur assure la sécurité.

Marko Delić, le héros principal d’Astragan, est lié à deux cultures et traditions. Primordiale est en cela l’origine de ses parents : dinarique, pour son père, centre-européenne et méditerranéenne pour sa mère. Depuis son enfance, la logique de sa destinée est conditionnée par ces facteurs. Professeur d’anglais de formation et écrivain non réalisé dans sa tête, Delić sent le fardeau des conditions idéologiques et souhaite en finir une bonne fois avec son identité. Il quitte la ville démoralisée, sale, ténébreuse qu’est Belgrade et entreprend des errances de plusieurs années dans les villes d’Europe. Néanmoins, le processus d’auto-identification se combine avec une modification autodestructrice de la personnalité dont résulte la transformation de Marko en Francesca. Les processus d’identification sont profondément enracinés dans la personnalité, ce qui rend le produit des expériences de transformation irréversible et tragique. Le héros perd à jamais toute possibilité de découvrir son « moi » véritable. Delić devient finalement écrivain, mais sa vocation se réduit à la peinture de sa propre personnalité et d’une existence fictive.

La destinée de l’émigrant est un voyage qui, dans le roman, acquiert une signification symbolique. Voyager permet non seulement de fuir la réalité brutale, mais se révèle aussi une source d’identification. Le processus du voyage est soumis à la transformation. Le héros le commence dans le monde réel afin de parvenir – dans l’espace de la prose personnelle, par l’exploration de sa propre conscience et le regard qu’il porte sur le temps et l’espace – à la réalité la plus idéale : le rêve, synonyme du mystère de la vie et de la mort.

À quoi bon entreprendre des voyages ? Ils sont partout identiques. Font-ils naître un sentiment de liberté ? Moi, Andrej, je découvre ce sentiment en prenant le tramway de Westbahnhof à Schönbrunn, et avec une intensité plus grande que qui va de Vienne à Paris. Car, si un déplacement ordinaire sur le Ring est exempt d’exaltation, alors il l’est aussi à l’autre bout du monde. Les voyages révèlent une pâle copie d’un original déjà présent en nous. À condition qu’il le soit. Sinon, c’est pure perte que de voyager.

Pour les autres personnages des romans de Velikić, voyager devient l’unique but dans l’existence. Pour Ivan, le héros du Cas Brême, le voyage revêt chez lui depuis l’enfance une formidable signification. Ont éveillé le désir d’errance les histoires racontant les voyages de son grand-père Vladimir, de son père Igor et d’Emil Kohot qui parcourait l’espace des villes d’Europe dans l’exercice de son métier de conducteur de tramway. L’impossibilité de satisfaire le besoin obsessionnel qu’il éprouve de voyager amène Ivan à « vivre en d’autres ». Les voyages que lui a racontés Kohot deviennent ses voyages. Ivan réalise ses désirs non satisfaits dans le cadre de son imagination. De ces voyages imaginaires s’ensuit un processus graduel de perte de contact avec la réalité. Le voyage qu’entreprend Ivan est à destination de nulle part.

*

La pratique de la mythification de l’espace dans la prose serbe contemporaine attire l’attention sur la question du lien existant entre l’identité et les changements, la revalorisation des centres culturels, et aussi les aspects territoriaux de l’identité collective et individuelle en Eu­rope centrale et sur le sol de la péninsule balkanique. La notion d’Europe centrale est non seulement différenciée dans les exemples analysés, elle remplit diverses fonctions dans les discours nationaux, mais, de la même façon, elle évolue. S’agissant de la Serbie, elle s’efforce de s’affranchir de la pression des thèmes nationaux et cherche la voie d’un dialogue inter­culturel. La narration mythifiée de l’Europe centrale est à l’évidence sou­mise aux processus de décentralisation, de globalisation ; et plutôt que de grandes narrations, s’est fait jour la perspective de l’individu. Les littéra­tures des petits pays situent l’homme dans son domaine historique, cultu­rel à demi privé le plus proche, elles libèrent l’individu des impératifs sociaux, elles ôtent aux lettres leur caractère étatique et ethnocentrique. Dans le discours publiciste, scientifique et politique contemporain, l’appellation Europe centrale en tant que concept mythifié, idéologisé, exprime la tendance à l’extinction tandis que progresse l’appellation neutre et plus convenable d’Europe centre-orientale.

Traduit du serbe par Alain Cappon

Резиме 
mитологизација простора средње европе у савременој српској књижевности

Средња Европа као европски пројекат наднационалног регионалног идентитета чији су субјекатземље и културе у средиштуЕвропе ситуиране између два европска центра моћи, Немачке и Русије, у књижевностима те регије до 1989. године најчешће је приказана у фигурама Аркадије, Атлантиде иЈерусалима.

Категорија Средње Европе у прози Драгана Великића подлеже просторном померању, постајући Јадранско-Дунавска Федерација коју симболизује троугао градова Пула/РијекаБеч – Београд. У кругу средњоевропских нарација савремене српске прозе налазе се различити модели књижевне презентације Холокауста, чија је еволуција уочљива у прози Данила Киша, Александра ТишмеДавида Албахарија и Јудите Шалго.

Модели митизације категорије Средње Европе у савременој српској прози попримају три вида. Прво, реализују супротстављање Аркадије и Земље Смрти, друго – позивају се на симбол жртвеног јагњета, и треће – актуализују фигуру српског Одисеја.

Кључне речи

Централна Европа, Мителеуропа, Холокауст, савремена српска проза, Данило Киш, Александар Тишма, Драган Великић, Давид Албахари, Јудита Шалго.

Summary
the mythologisation of the central european space in contemporary serbian prose

As a European project aiming at defining a supranational regional identity whose subject would be the countries and cultures of Central Europe situated between the two European centres of power, Germany and Russia, Central Europe, up to 1989, came to be very often represented in the literatures of these regions through the figures of Arcadia, Atlantis and Jerusalem.

In the prose of Dragan Velikić, Central Europe is shifted in space as it becomes an Adriatic-Danubian Federation symbolized by the triangle of towns: Pula/Rijeka-Vienna-Belgrade. Among the Central European narratives of modern Serbian prose, diverse models of the Holocaust's literary presentation can be found, and the evolution of such models is visible in the prose of Danilo Kiš, Aleksandar Tišma, David Albahari and Judita Šalgo.

The models of mythologisation of Central Europe in modern Serbian prose follow three patterns. The first one synthesizes the opposition between Arcadia and Death Land. The second one refers to the symbol of the sacrificial lamb. The third one updates the figure of the Serbian Odysseus.

Key words

Central Europe, Mitteleuropa, Holocaust, contemporary Serbian prose, Danilo Kiš, Aleksandar Tišma, Dragan Velikić, David Albahari, Judita Šalgo.

 


NOTES

[1] I. Paska, « Morfologija Srednje Evrope » [La Morphologie de l’Europe centrale], in Habitus, n° 2, Novi Sad, 2000, p. 1-34.

[2] Ibid.

[3] J. Szücs, Trzy Europy, Lublin, Insitut Europy Środkowo-Wschodniej, 1995, ou J. Szücs, Les Тrois Europes, Paris, L’Harmattan, 1985.

[4] M. Kundera, « Zachód porwany albo tragedia Europy Środkowej”, in Zeszyty Literackie, Paryż, n° 5, 1984, p. 14-30.

[5] A. Podraza, « Europa Środkowa. Zakres przestrzenny i historia regionu », in Prace komisji Środkowoeuropejskiej PAU, vol. I, Krakow, 1993, p. 23.

[6] J. Szücs, Les Тrois Europes, op. cit.

[7] P. Teleki, Európáról és Magyarországrol, Budapest, Athenaeum Irodalmi, 1934, p. 45.

[8] I. Paska, « Morfologija Srednje Evrope », op. cit.

[9] R. Kjellén, Staat als Lebenforme, Berlin, 1924. Cité d’après : I. Paska, « Morfologija Srednje Evrope », op. cit., p. 14-15.

[10] Enciclopedia italiana di scienze, littere ed arti, vol. X, Milan, 1932, p. 645. Cité d’après : I. Paska, « Morfologija Srednje Evrope », op. cit., p. 17.

[11] F. Naumann, Mitteleuropa, Berlin, Reimer, 1915 ; voir aussi : Die europäische Option, réd. A. von Bogdandy, Baden-Baden, Nomos, 1993.

[12] I. Paska, « Morfologija Srednje Evrope », op. cit., p. 23.

[13] D. Ďurišin, « Faktory historickej podmiénosti medziliterárnych spoločenstiev », in Osobitné medziliterárne společentvá, Bratislava, Ústav svetovej literatúry SAV, 1993, p. 29-35.

[14] D. Kiš, “Wariacje na tematy środkowoeuropejskie”, in Res Publica, n°1, Warszawa, 1989, p. 21.

[15] J. M. Domenach, Europa. Wyzwanie dla kultury, przel. A. Sikora, Warszawa, Nova, 1992 ; M. Kundera, « Zachód pôrwany albo tradegia Europy Środkowej », in Zeszyty Literackie, Pariż, n°5, 1984, p. 18.

[16] M. Kundera, « Zachód porwany albo tragedia Europy Środkowej », op. cit., p. 25.

[17] Ibid., p. 23.

[18] Ibid., p. 24.

[19] S. P. Huntington, Zderzenie cywilizacji i nowy ksztalt ladu światago, przel. H. Jankowska, Warszawa, Muza, 1998, p. 232-233.

[20] A. Naumow, « Europa benedyktyńska i Europa cyrylometodiańska », in Studia z historii literatury I kultury Slowian, réd. B. Czapik-Lityńskiej et Z. Darasza, Katowice, Wydawnictvo Uniwersytetu Ślaskiego, 2000, p. 33-41.

[21] A. Fiut, Być (albo nie być) Środnowoeuropejczykiem, Krakóv, Wydawnicto Literackie, 1999, p. 15.

[22] Z. Konstantinović, « Sistem srpske književnosti u sistemu srednjoevropske literature » [Le système de la littérature serbe dans le système de la littérature centre-européenne], in Polazište. Izbor iz radova Zorana Konstantinovića [Points de départ. Zoran Konstantino­vić, textes choisis], (éd.) Z. Žiletić, S. Grubačić, S. Bogosavljević, Novi Sad, Prometej, 2000, p. 326.

[23] D. Velikić, Severni zid, Belgade, Vreme knjige, 1995, p. 61.

[24] D. Kiš, « Wariacje na tematy środkowoeuropejskie », przelożyl Kazimierz Żorawski, in Res Publica III : I, Izabelin, 1989, p. 21-29.

[25] « Nous, les Yougoslaves, sommes des marginaux, et marginaux nous resterons. En tant que culture, littérature, nous n’existons ni à Paris, ni nulle part dans le monde. Telle est la destinée des petits peuples, et, plus précisément, des petites langues. C’est ainsi. Nous représentons l’exotisme, et nous intéressons le monde en tant que tel. » D. Kiš, Gorki talog iskustva, Belgrade, BIGZ, 1990, p. 91.

[26] D. Velikić, « Dankesrede anlässlich der Verleihung des Mitteleuropa-Preises ». (Le manuscrit nous a été soumis par l’auteur).

[27] Voir les romans de R. Petković Put u Dvigrad [Le Chemin de Dvigrad], Belgrade, 1979 ; Senke na zidu [Des Ombres sur le mur], Belgrade, 1985 ; Sudbina i komentari [Destin et commentaires], Belgrade, 1993.

[28] R. Petković, Vizantijski internet [L’Internet byzantin], Belgrade, 2007.

[29] D. Albahari, Opis smrti, Belgrade, Narodna knjiga, 1996, p. 85.

[30] D. Albahari, Pijavice, Belgrade, Stubovi kulture, 2006, p.11.

[31] Ibid., p. 51 et ailleurs.

[32] D. Albahari, Mamac, op. cit., p. 56.

[33] A. Naumow, Europa benedyktyńska i Europa cyrylometodiańska, op. cit., p. 33-41.

[34] D. Albahari, Snežni čovek, Belgrade, Narodna knjiga, 1996, p. 118.

[35] D. Velikić, Danteov trg, Belgrade, Stubovi kulture, 1997, p. 161.

[36] « Opsednut sam holokaustom, nestankom oca, uspomenama na teško ratno detinjstvo.” [Je suis obsédé par l’holocauste, la disparition de mon père, les souvenirs d’une enfance difficile vécue pendant la guerre.] In D. Kiš, Gorki talog iskustva, op. cit., p. 227.

[37] Ibid., p. 92-93.

[38] D. Kiš, Život, literatura (fragmenti) [Vie, litérature (fragments)], in Sabrana dela. Skladište [Œuvres complètes. Entrepôts], réuni par M. Miočinović, Belgrade, BIGZ, 1995, p. 326.

[39] D. Albahari, Mamac, op. cit., p. 71.

[40] D. Albahari, Gec i Majer, Belgrade, Stubovi kulture, 1998.

[41] Voir : Vladislava Ribnikar, « Istorija i trauma u romanima Davida Albaharija » [Histoire et traumatismes dans les romans de David Albahari], in Letopis Matice srpske, n°3, 2006, p. 613-639.

[42] Voir : Vladislava Gordić-Petković, « Rod, identitet i ženski kontinent : sazrevanje i transformacije u prozi Sare Volters i Judite Šalgo » [Le genre, l’identité et le continent féminin : maturation et transformations dans la prose de Sarah Walters et Judita Šalgo], in Filološki pregled, n°1, p. 23-24.

[43] Ibid.

[44] D. Albahari, Mamac, op. cit., p. 97.

[45] Ibid., p. 40.

[46] Ibid., p. 63.

[47] D. Albahari, Mamac, op. cit., p. 39.

[48] D. Velikić, Astragan, Beograd, Stubovi kulture, 1996, p. 52.

[49] Ibid., p. 52.

[50] D. Velikić, Severni zid, op. cit., p. 43.

[51] D. Velikić, Hamsin 51, Belgrade, Vreme knjige, 1995, p. 61.

[52] D. Velikić, Astragan, op. cit., p. 96.

[53] D. Velikić, Hamsin 51, op. cit., p. 88.

[54] D. Velikić, Astragan, op. cit., p. 13.

[55] D. Velikić, Hamsin 51, op. cit., p. 86.

[56] D. Velikić, Astragan, op. cit., p. 12-13.

[57] Ibid., p. 16.

[58] La raja était pour les Turcs la population non musulmane [note du traducteur].

[59] D. Velikić, Astragan, op. cit., p. 15-16.

[60] M. Kundera, Zachód porwany albo tragedia Europy Środkowej, op. cit., p. 25.

[61] D. Velikić, Le Mur nord, op. cit., p. 50.

[62] E. Dąbrowska, Teksty w ruchu. Powroty baroku w polskiej poezji wspólczesnej, Opole, Wydawnctwo Uniwersytetu Opolskiego, 2001, p. 139-140.

[63] D. Velikić, Astragan, op. cit., p. 80.

[64] D. Velikić, Hamsin 51, op. cit., p. 90.

[65] D. Velikić, Severni zid, op. cit., p. 60.

 


Publié sur Serbica.fr le 27 juillet 2012

Pour citer cet article :

Zieliński, Bogusław, « La mythification de l’espace de l’Europe centrale dans la littérature serbe contemporaine », in Srebro, M. (dir.), La Littérature serbe dans le contexte européen : texte, contexte et intertextualité, Pessac, MSHA, 2013, p. 321-340.

Document mis en ligne le 27 juillet 2012 sur le site http://www.serbica.fr

 

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