LA LITTÉRATURE SERBE DANS LE CONTEXTE EUROPÉEN
TEXTE, CONTEXTE ET INTERTEXTUALITÉ

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Marija Džunić Drinjaković
Université de Belgrade, Serbie

 

LES RÉSONANCES RABELAISIENNES
DANS LA LITTÉRATURE SERBE

Résumé

Les traces d’un intertexte rabelaisien dans les univers romanesques de Miodrag Bulatović et de Slobodan Džunić sont visibles dans la forte présence de figures de l’inversion, dans l’esprit carnavalesque, mais aussi dans le grotesque et diverses résonances de l’énorme rire rabelaisien. Alors que dans le roman Le Héros à dos d’âne les résonances rabelaisiennes sont les plus marquantes dans l’esprit contestataire, le burlesque et le traitement parodique de toutes les formes du discours idéologique, dans le roman Pagani, imbibé d’une ivresse dionysiaque, l’écho de l’esprit rabelaisien se fait surtout ressentir dans un vitalisme ludique et une joyeuse réhabilitation du corps. À l’opposé du rire bulatovićien, cynique et subversif, destructeur dans sa volonté de renverser non seulement les canons esthétiques et idéologiques de son époque, mais aussi toutes les hiérarchies et tous les tabous, le rire džunićien, qui ne cesse de magnifier la joie de vivre et d’affirmer un sentiment panthéiste de la vie, reste braqué seulement contre les forces qui entravent l’épanouissement de l’être humain.

Mots-clés

Rabelais, Bulatović, Džunić, grotesque, esprit carnavalesque, rire subversif, jubilatoire, mythe.

 

Malgré leur parution tardive – car les chroniques des géants Gargantua et Pantagruel seront diffusées pour la première fois en 1950 seulement auprès du lectorat de l’ex-Yougoslavie –, les échos de la grande œuvre de François Rabelais furent amples et immédiats. Ils n’auraient pas été aussi remarquables si leur traducteur, essayiste et écrivain Stanislav Vinaver, n’avait pas réussi une ingénieuse transposition poétique, dont témoigne sa langue foisonnante qui ne cesse d’enchanter de nos jours encore.[1] L’œuvre rabelaisienne envoûta les esprits non seulement par la beauté et l’exubérance de la langue mais aussi par son génie contestataire et par son rire irrespectueux qui ne reculent devant aucune autorité, et qui aident à cristalliser nombre d’aspirations éclipsées à cette époque encore fortement marquée par la prédominance de vérités unilatérales.

Parmi les écrivains que l’œuvre rabelaisienne ne tarde pas à inciter à s’aventurer dans une entreprise d’interrogation des convenances esthétiques prédominantes, mais aussi du « politiquement correct », notre attention s’arrêtera d’abord sur Miodrag Bulatović (1930-1991), écrivain chez qui le grotesque, l’un des grands piliers de l’univers rabelaisien, se présente très tôt comme l’une des figures esthétiques dominantes. La déformation grotesque de la réalité est sensible déjà dans ses premiers recueils de nouvelles : Đavoli dolaze [Les Diables arrivent, 1955[2]] et Vuk i zvono [Le Loup et la cloche, 1958], où Bulatović démontre la singularité de sa voix narrative qui ne cessera dorénavant de mêler l’horreur et le rire, le burlesque et le tragique, l’érotisme et la transgression.

Un univers sombre peuplé de héros déchus et obsédés par le mal, une vision du monde imprégnée d’un certain nihilisme, contrastent vivement avec l’optimisme béat et les visages radieux tournés vers les lendemains qui chantent, dont fourmille, en cette époque, la canonique littérature socio-réaliste. En lisant certaines pages de ce jeune auteur voué à une transgression illimitée, et qui ne cesse d’étaler d’une manière ostentatoire sa volonté de briser tous les tabous, on songe au marquis de Sade, à Jean Genet, mais aussi à Georges Bataille. Il faut dire que les pulsions agressives, le blasphème répété et les états psychiques limites trouvent un contrepoint dans les envolées lyriques dont cet écrivain paradoxal parsème ses textes : cet étrange mélange de violences verbales et d’outrances thématiques et de quête éperdue de tendresse, devient moteur de son « système » poétique.

C’est ce qui explique d’ailleurs le fait que les commentateurs de son roman Crveni petao leti prema nebu [Le Coq rouge, 1959] évoquent autant l’univers orgiaque d’un Breughel que le symbolisme poétique d’un Chagall. Ici aussi on trouve en effet des tonalités disparates tellement caractéristiques de l’écriture bulatovićienne, des êtres saugrenus, pervers et cruels aussi bien que des âmes assoiffées d’amour. Dans ce roman que son éditeur français présentera comme « sensuel et fantastique » quelques années plus tard, Bulatović déploie le thème de la solitude foncière d’un être marginalisé, en donnant à son histoire une dimension symbolique et en y inscrivant les questions fondamentales qui tourmentent l’être humain. Les résonances rabelaisiennes y sont sensibles dans un recours fréquent à l’hyperbole, figure qui déforme dans l’univers bulatovićien autant les objets que les êtres[3] ou certaines parties de leurs corps[4]. Mais leurs vibrations se font surtout ressentir dans sa langue carnavalesque qui ne cesse de détrôner et de rabaisser, grâce au principe de l’inversion qui lui est intrinsèque, et dont Bulatović use, à l’instar de son illustre prédécesseur, en vue d’opérer un incessant renversement des valeurs. C’est ainsi que dans le sillon de l’« Homère bouffon » qui travestit « le combat en cuisine et banquet, les armes et les casques en instrument de cuisine et bols à raser, le sang en vin[5] », Bulatović transfigure une scène de kermesse villageoise, plus précisément la fête de noces d’Ivanka et Kajica, en un théâtre de débauche, de violence et de sang.

Ses commentateurs ne tardent pas à signaler la présence de nombreuses réminiscences rabelaisiennes dans son écriture. Bulatović lui-même tient à affirmer que François Rabelais figure, avec Shakespeare, Villon et Dostoïevski, parmi ces génies qui l’ont profondément influencé. Il faut pourtant observer que le grotesque bulatovićien, avec sa tendance à s’associer aux sentiments négatifs, avec son côté cruel et morbide, s’éloigne souvent du grotesque rabelaisien, tel que l’a défini Bakhtine – à savoir une catégorie esthétique à laquelle est inhérente l’idée de vitalité et de fécondité –, pour s’approcher du grotesque au sens que lui donnait Kayser – catégorie esthétique indissociable de « quelque chose d’essentiellement menaçant et hostile », voire inhumain[6]. Il suffit de songer aux corps grotesques des invités des noces, laids, trapus et menaçants, annonçant toute une avalanche d’événements tragiques : l’humiliation et l’agression, le viol et la mort. Contrairement aux corps rabelaisiens – vigoureux, robustes et opulents, dont émane toujours une joie de vivre et qui, avec leurs protubérances et leurs ouvertures, ont pour fonction « de rapprocher le monde de l’homme et de magnifier la vie[7] » – les corps  bulatovićiens figurent plutôt comme une expression du néant qui hante  l’homme moderne, et servent à transposer un sentiment de la vie imprégné de crainte et d’angoisse.

Les traces d’un intertexte rabelaisien sont encore plus marquantes dans le roman Heroj na magarcu[8] [Le Héros à dos d’âne], où Miodrag Bulatović réussit merveilleusement, comme le fait observer Petar Pijanović, à amalgamer le grotesque et la vision carnavalesque du monde avec sa syntaxe narrative[9]. Autrement dit, dans cette « Iliade burlesque et rabelaisienne »[10], la déformation grotesque de la réalité et les retournements bouffons, loin d’être des ajouts et des ornements, deviennent parties intégrantes de son procédé narratif. De l’inspiration rabelaisienne dans ce roman témoignent aussi de nombreuses transpositions burlesques de la symbolique chrétienne ainsi qu’un traitement parodique de maints topos bibliques : par-dessus tout, un rire irrévérencieux et subversif tendant à renverser toutes les hiérarchies.

Si Rabelais ne cesse de recourir à l’inversion et à l’antithèse, c’est que ces figures lui permettent d’opérer un incessant retournement de va­leurs et dès lors de dévoiler l’aspect obsolète d’une vision du monde qui a fait son temps. Ces figures forment pareillement les ressorts principaux du roman Le héros à dos d’âne. Tout d’abord, son protagoniste Gruban Malić, anti-héros par excellence, est construit comme une parodie d’image idéalisée de combattant de guerre, telle qu’elle apparaissait dans la litté­rature canonique d’après-guerre. Tout ce qui est relatif à ce personnage est dépeint comme caricatural : de petite taille, malingre et rachitique, il vit du trafic de préservatifs et de gadgets pornographiques. Le narrateur se plaît à diminuer non seulement ses traits physiques, mais aussi ses senti­ments, ses états d’âme, ses convictions et ses aspirations. Il banalise sa révolte et son refus de l’asphyxie de la vie morne qu’il passe derrière son comptoir à Bijelo Polje, en démontrant qu’ils ne prennent source ni dans sa lucidité, ni dans son désir d’accéder à une existence plus digne de l’être humain, mais tout simplement dans son obsession de grandeur. Cette discordance grotesque, d’ailleurs déjà sensible dans son nom[11], ne cessera d’être ponc­tuée tout au long de ce roman, qui abonde d’autant de scènes d’horreur souvent empreintes d’humour noir, que de situations susceptibles de pro­voquer des cascades d’un rire tonitruant. Qu’on songe seulement aux in­nombrables – et toujours vains – essais de Malić de convaincre ses com­patriotes de son courage et de ses exploits guerriers. Hélas ! personne ne le prendra au sérieux, et son magnifique casque, son prétendu « trophée de guerre », ne servira que d’ustensile banal : n’ayant plus de casserole, un vieux paysan s’en empare pour « faire la soupe, ou la bouille de maïs »[12].

La « conversion » idéologique de Malić n’échappe pas non plus à ce mouvement de renversement et de rabaissement qui anime l’univers bulatovićien. Déjà les circonstances dans lesquelles elle se produit démontrent que Bulatović vise à tourner à l’envers tout ce qui entourait jusqu’alors la description de ce genre d’expériences dans les canoniques romans révolutionnaires. Loin d’être le fruit d’une évolution intellectuelle, sa « conversion » au marxisme advient par hasard, et dans des circonstances dénuées de tout pathos et de toute gravité, c’est-à-dire lorsque Malić découvre, dans des paquets de préservatifs, des « photos cochonnes et d’abortina »[13], dont il approvisionne les soldats, et des tracts rouges avec des slogans communistes. Et voici la « révélation épiphanique » tournée à l’envers : il n’y comprend rien mais à force de lire, à haute voix, ces « mots sonores » qui lui « réchauffent le cœur », il commence à se croire « de cet avis »[14], et se met à prêcher à ses compatriotes sa nouvelle foi – « la cause des oppressés et humiliés ».

Le néophyte exalté ne cessera dorénavant de lancer des slogans révolutionnaires. On l’entend exhorter ses compatriotes à joindre les partisans afin de donner « le coup mortel au dragon fasciste déjà secoué par le râle de l’agonie »[15], s’exclamer qu’il ne songe plus qu’à « rejoindre la liberté qui saigne »[16], jurer qu’il n’hésitera pas à sacrifier sa vie pour débarrasser des Italiens non seulement « son pays oppressé », mais aussi « tout le globe terrestre, qui gémit sous leur joug […] »[17]. Il n’est pas difficile de comprendre qu’à l’aide de la voix rauque de ce personnage grotesque qui ne cesse de gesticuler, Bulatović raille le langage idéologique de son époque : traversé par les slogans creux[18] et les formules stéréotypées, il est analogon d’une pensée raide et d’une conception du monde qui ont fait leur temps.

Or ces paroles pétrifiées qui, à force d’être répétées, commencent à perdre toute signification, ces bribes d’une novlangue idéologique que le héros ne cesse d’allier à un ton exalté, produisent souvent un rire à gorge déployée. Pour ne mentionner ici que l’évocation du « rêve le plus cher » que Malić caresse, à savoir de « brûler les casernes et autres objectifs militaires, de mettre à sac les magasins et de distribuer des vivres au peuple monténégrin héroïque et affamé, puis de marcher vers la nouvelle vie de bonheur, la bouche pleine de chansons et de cris variés »[19]

Outre qu’il dévoile le côté mensonger d’un langage idéologique et d’une vision du monde qu’il véhicule, le rire subversif bulatovićien a pour fonction de railler les concepts simplificateurs de l’Histoire officielle. Les accents cruels et sardoniques de ce rire viennent en effet rappeler que la lutte pour la libération du pays, présentée exclusivement comme une « épopée glorieuse des fraternels peuples yougoslaves », était aussi une épopée sanglante et une atroce guerre civile. Pour donner une image « plus fidèle » de cette époque d’exterminations fratricides, au contraste du noir (les occupants fascistes et les « traîtres ») et du blanc (les partisans de Tito), Bulatović substitue la prédominance de la couleur rouge, symbole du sang qui « coulait à flot ». Lorsqu’il s’agit de l’occupation italienne du Monténégro avant la paix séparée, pour en rendre une image tant soit peu fidèle, il est indispensable, tient-il à remarquer dans une de ses interviews, « d’y ajouter encore le vert et le brun »[20].

Pour tourner en dérision cette vision manichéenne de l’histoire of­ficielle, Bulatović dépeint ses tableaux de la guerre comme comiques et horribles à la fois. Cela dit, il renvoie dos à dos les deux camps adverses qui ne diffèrent guère dans ce roman que Petar Pijanović désigne comme « contrepoint de l’idéologique et du pornographique ».[21] C’est d’ailleurs une constatation déjà faite par Antonio Peduto, une sorte d’alter ego de l’auteur dans ce roman[22]. Enclins aux larmes, au pathos et aux discours grandiloquents, les Italiens et les Monténégrins ne cessent de crier et de pleurer, ce qui n’est pas sans avoir partie liée avec leur amour pour l’alcool. Les officiers italiens « vacillant dans un état d’ivresse avancée », avec une main sur le revolver et « l’autre sur le flocon de rakia », sont difficiles à distinguer des soldats monténégrins qui, « les yeux pleins de larmes et la bouche pleine d’eau de vie », attaquent « quand il faut et quand il ne faut pas ». Ce qui les unit également, c’est leur tendance à se percevoir comme plus importants qu’ils ne le sont en réalité, c’est leur soif de puissance et de gloire. Cette obsession de grandeur est partout présentée sous sa forme dépravée, à l’aide de moyens relevant du bas comique.[23]

En vue de tourner en dérision leurs mythomanies nationales, Bulatović ne cesse d’opposer les images idéalisées qui nourrissent leurs représentations collectives à la réalité crue et drue. Après avoir évoqué l’image chimérique d’une Italie berceau de l’art, il se complaît à la briser en la confrontant à la vision hideuse d’un pays où « dans l’enthousiasme, dans la tristesse la plus profonde qu’aient jamais connue les hommes, avec des larmes dans les yeux, on chante les culottes de femmes souillées de crotte et les lits ! »[24]. Il n’est pas moins cruel pour ce qui concerne le mythe d’un « héroïque » Monténégro, dont il se moque en lui opposant le « véritable » aspect de ce pays rude « où la vie est terrible même aux loups », où les gens sont « hargneux, prompts au couteau et au fusil ».[25]

Dans son parti pris de démanteler les mensonges d’une doxa idéologique et ses « vérités éternelles », Bulatović fait feu des quatre fers, recourant dans son anarchisme bouffon non seulement à un rire irrévérencieux mais aussi à une profanation impie et à des descriptions pleines d’horreur et de cruauté. Il suffit de songer aux nombreuses scènes de tortures et de viols, aux cris qui s’arrachent de la « chair défaite »[26] de Mara la folle, qui ne connaît plus que douleur, honte et terreur. Obsédé par le dépassement de toutes les bornes, provocateur et voué à une transgression illimitée, Bulatović efface parfois non seulement les frontières entre les phénomènes reliés par une contiguïté – en l’occurrence, la guerre et la pornographie[27] –, mais aussi celles qui séparent les concepts antinomiques : la valeur et le vice. C’est ainsi que l’idée de liberté se transforme, dans son univers, en synonyme d’esclavage et de bêtise, dans un pays « où les ânes déjà ne manquent pas »[28]. Pareillement, l’idée de fraternité, que les architectes d’un nouveau monde ne cessaient d’invoquer, se réalise sous une forme antinomique – ce qui ne la rend pas moins  hideuse, au contraire –, dans l’« amour universel » qui unit les hommes et les cochons[29].

Autrement dit, le rire subversif bulatovićien sape, avec les mensonges et chimères idéologiques de son temps, nombre de concepts et d’idées que l’on pourrait considérer sinon comme « nobles », du moins comme indispensables à l’ascension spirituelle de l’homme. Or présentés exclusivement sous leur forme dépravée, ou en tant que synonymes de l’illusion, ces idées perdent chez lui leur capacité à créer du sens et de la valeur. Tout est mêlé pour être parodié dans son « burlesque noir »[30], tant et si bien que pour nombre de ses commentateurs, son univers se présente comme un lieu sans repères éthiques. Nous ne citerons ici que l’observation de Petar Pijanović, affirmant que le rire bulatovićien, cynique et destructeur, est le signe d’une désorientation[31] morale et spirituelle de ses héros vivant dans un monde absurde auquel rien ne peut donner de sens.

Le désordre et le néant qui règnent dans cet univers délirant, le retour en force de l’animalité en l’homme ainsi que la suppression de tous les interdits, expliquent la répugnance que certains d’entre eux ne visent pas à cacher. C’est ainsi que Milivoje Marković, rebuté par l’affreux et le sordide qui semblent avoir leur finalité en eux-mêmes, clame son « écœu­rement » devant l’étalage de toutes ces turpitudes, perversions et cruautés dont les héros bulatovićiens sont capables. Il considère que cet écrivain attise délibérément et « d’une manière pamphlétaire »[32] tout ce qui est ténébreux et morbide dans l’être humain. Portant un jugement défavorable sur son écriture,  Marković ne manque pas pour autant de préciser que ce qui condamne Bulatović, ce n’est pas le fait qu’il ait banni de son monde dépravé tout sentiment « normal », tout espoir et toute « morale positive », mais tout simplement « un manque de force persuasive ». Autrement dit, pour être laborieusement construit, avec ses angoisses, ses désespoirs et ses pulsions agressives, son univers « n’en devient pas pour autant plus convaincant »[33]. Une réticence devant les scènes d’une « incroyable cruauté » transparaît également dans l’article de Tristan Renaud, pour qui l’univers violent bulatovićien se présente comme un pandémo­nium  « peuplé par les homuncules égarés », « homologues humains des insectes où l’auteur s’amuse à leur arracher les pattes et les ailes »[34]. Le côté sulfureux de cet auteur obsédé de pulsions conflictuelles, qu’une partie de son lectorat occidental ne perçoit plus que comme symbole d’une certaine « furia slave », semble également rebuter André Clavel et Arthur Lundkvist, qui désignent son roman Gullo, Gullo, amputé de toute tendresse et de toute commisération, comme « scandaleux »[35], voire comme une « apologie de la haine »[36].

Victor Hugo voyait jadis le trait marquant de la complexité du génie moderne dans une « féconde union du type grotesque au type sublime »[37]. Le fait que le sublime ne soit guère au rendez-vous dans l’univers bulatovićien, ne signifie pas pour autant que sa « comédie scabreuse »[38], avec tous les traits qui parfois l’éloignent considérablement de l’œuvre rabelaisienne, qui n’égale jamais la pure négation[39], ne mérite pas une place à part dans la littérature. Non seulement parce que la bouffonnerie noire bulatovićienne témoigne d’une manière bouleversante de la situation existentielle de l’homme, mais aussi parce que la force démystificatrice de son rire irrévérencieux a aidé à révéler la fragilité de nombreuses constructions idéologiques que ses contemporains considéraient comme inébranlables.

Dans la prose de Slobodan Džunić (1921-1998), romancier, nouvelliste et poète[40] dont l’œuvre  présente une grande diversité de tonalités et de procédés narratifs d’un livre à l’autre, les résonances rabelaisiennes sont notamment sensibles dans le roman Pagani [Les Païens, 1964]. Plus précisément, ces résonances sont perceptibles, d’une part, dans une joie de vivre imbibant les êtres et les éléments dans ce roman où Džunić s’élance – après l’univers sombre du roman Vinograd Gospodnji [La Vigne de Dieu][41] – vers un monde d’une vitalité débordante, et d’autre part dans une langue carnavalesque reposant sur le principe de l’inversion[42] et dans les répliques burlesques de thèmes bibliques. Les réminiscences rabelaisiennes percent aussi dans une forme spécifique de l’éloge[43], qui se nourrit chez lui de la culture populaire, et qui se présente comme un mélange de louange et de dénigrement. Mais ce qui apparente par-dessus tout la prose de Pagani au génie rabelaisien, c’est un rire joyeux qui, à l’opposé du rire subversif de Bulatović, ne vise pas à détruire, mais à affirmer. C’est un rire de fête, lumineux et universel, qui englobe tout être et toute chose et qui, pour employer ici des termes de Bakhtine, participe d’un sentiment de la vie « où le cosmique et le corporel sont indissociablement liés comme un tout vivant et indivisible »[44].

Comme chez Rabelais, l’homme n’est pas isolé du monde, car Džunić peuple l’univers de son roman d’êtres païens, qui puisent leur force dans un sentiment fusionnel avec la terre. Que l’homme déterminé  par sa position sociale n’intéresse guère ici Džunić, c’est ce qui est sensible dès l’incipit, ne serait-ce que parce que l’action est déclenchée par un événement participant de la Nature et non de l’Histoire : l’avènement du printemps. Eveillés par l’énergie du soleil, les habitants de Sprudište, un village imaginaire au pied de Stara planina, sont pris dans un tourbillon de joie infinie. A la différence de Bijelo polje de Bulatović, qui se présente comme le théâtre d’événements tragiques, Sprudište apparaît comme l’espace d’une union heureuse avec le monde. Avec le sentiment panthéiste de la vie qui l’imprègne, la prose (rimée) de Pagani est un cantique à l’éternelle reviviscence de la terre, mais aussi l’invitation – si rabelaisienne ! – à s’affranchir de toutes les entraves qui font s’étioler l’être humain.

Les réminiscences rabelaisiennes transparaissent également dans la construction des figures drôles de moines et de nonnes, dont la fonction est de moquer une philosophie morale qui, dans sa défense zélée de la spiritualité, justifie non seulement un profond mépris pour le « bas maté­riel » mais aussi pour tout élan vital. A leur tête Vinoje, le personnage construit, à l’instar du frère Jean des Entommeures de Rabelais, comme une parodie de « soutanes noires » : vigoureux, agile, porté autant sur la bonne chère que sur le vin (comme l’indique déjà son nom), ce joyeux plaisantin ne manque aucune occasion de faire honneur aux nourritures terrestres étalées sur la table du soleil. Et on le voit plus souvent adonné aux ébats amoureux avec une belle campagnarde que livré à de pieuses méditations ou prosterné dans ses prières. Qu’une véritable atmosphère de renaissance règne dans la vallée du rire džunićienne, c’est ce dont témoi­gnent d’autres personnages de Pagani : Jagoda, cette dévoreuse d’hommes, toujours à l’affût d’une proie ou les cuisses en l’air, Milijan, ce rêveur exalté, mais lui aussi galvanisé par l’énergie de la terre, avec des pulsations érotiques qui répondent à celles de la Lune et des étoiles. Tous ces êtres enivrés par l’éveil de la nature, servent à Džunić à magnifier la pure joie d’exister. La souffrance, la douleur et la mort paraissent anni­hilées, car la merveilleuse voix de la jeune nonne Paraskeva a la capacité non seulement d’éveiller l’amour, mais aussi de ressusciter les morts. Les accents bouleversants de sa voix arrachent au néant les saints de bois et de pierre qui, « demeurés trop longtemps emprisonnés » dans les fresques et icônes du petit monastère, retrouvent leurs enveloppes charnelles et s’empressent de se mêler aux campagnards dans leur fête. On comprend que l’ivresse dionysiaque de ce sacre du printemps transforme le monas­tère džunićien en une sorte de Thélème, où règne une seule règle : « fais ce que voudras ».

Il importe ici de rappeler que Rabelais recourt à l’image de l’abbaye « au rebours de toutes les autres » non pour railler la religion chrétienne, mais le clergé et le pouvoir monacal. Dans son sillage, Džunić ne vise pas non plus à renier la foi, mais seulement ce qui entrave les pulsions vitales de l’homme et l’épanouissement de ses capacités, autant charnelles que spirituelles.

Si Stanislav Vinaver n’hésite pas, en traduisant Rabelais, à s’élancer dans l’aventure d’une recréation linguistique, c’est qu’il est per­suadé – comme il l’affirme dans nombre de ses essais –, que la langue serbe était trop longtemps restée « asservie par les rythmes monotones de notre rapsodie héroïque et de son décasyllabe omniprésent »[45], et qu’il fallait donc œuvrer assidûment à l’arracher à ces contraintes. Pour em­ployer ici les termes de Benjamin parlant du traducteur « idéal », amou­reux du « pur langage », Vinaver s’emploie à briser « les barrières ver­moulues de sa propre langue »[46]. Dans le même sillon, Slobodan Džunić tend dans son écriture à s’écarter des rythmes lents et de la mélo­die mo­notone induits par la poésie épique. De même qu’il introduit de nouvelles cadences, il détruit également de nombreux dictons, proverbes et locutions figées pour les recréer ensuite[47] afin qu’ils puissent servir de matériau pour son édifice narratif, voire pour transposer son sentiment de la vie et sa vision du monde. Tandis qu’un rythme saccadé et une phrase défiant la syntaxe normative avaient pour fonction, dans Vinograd Gospodnji, de traduire les relations conflictuelles des personnages, la viva­cité de la langue et le rythme effréné de Pagani deviennent autant d’objectivations de cette ivresse dionysiaque qui anime l’univers de ce roman. Ces qualités musicales de la prose rimée de Pagani lui ont valu la comparaison avec la forme musicale du scherzo.[48]

Louant l’époustouflante imagination langagière dont Džunić fait preuve dans Pagani, Marko Nedić observe que l’intertexte rabelaisien s’y double d’échos lointains de Colas Breugnon[49]. Ce critique tient aussi à relever que François Rabelais et Romain Rolland n’étaient qu’une « inspi­ration » pour cet écrivain à part qui, refusant de prendre des sentiers battus, réussit à affirmer la singularité de son écriture et de sa vision du monde. Autrement dit, leurs génies « l’ont seulement encouragé à persévérer sur sa voie et à confirmer son talent »[50], loin de tous les « ismes ».

Plus amer, le rire qui imprègne le récit Kurjak [Le Loup, 1971] préserve plusieurs traits rabelaisiens, notamment sa vertu « thérapeutique ». Ce côté « guérisseur » du rire est accentué dès l’incipit, où le rire est désigné non seulement comme « le meilleur remède »[51] contre la tristesse et le désespoir, mais aussi contre les forces du Mal, « dont seul le visage change » selon l’heure et la lumière, « selon l’époque et le vilayet », mais qui reste toujours identique à lui-même. Dans cette prose « difficilement classable », que le critique Predrag Palavestra désigne comme le « conte de fée satirique »[52], les résonances rabelaisiennes sont également sensibles dans la construction du personnage principal. Cependant, ce n’est pas par sa taille que Penča s’apparente au géant Gargantua, c’est par sa naissance merveilleuse et  par sa faim insatiable. En effet, tel l’enfant nouveau-né de Pantagruel et Gargamelle, le fils de Rista et Dena demande d’une voix tonnante, à peine sorti des entrailles de sa mère, qu’on lui donne à manger et à boire. Les échos rabelaisiens se doublent ici, comme l’a fait déjà observer Marko Nedić, des réminiscences à Cola Breugnon, paysan bourguignon dont la faim ne peut jamais être assouvie : « à quelque heure du jour l’eau [lui] vient aux babines devant la table mise de la terre et du soleil »[53]. Mais ce qui relie par-dessus tout Penča aux figures rabelaisiennes, c’est une curiosité inextinguible : tout attire et tout enivre cet être amoureux de la vie qui cherche infatigablement de nouvelles expériences : marcher, courir, chanter, danser, pêcher, semer du blé, moissonner, vendanger… Suit une liste exhaustive d’une vingtaine de verbes dans laquelle Džunić se plaît à énumérer les joies de la vie terrestre.

L’obsession de la surabondance dont témoignent ces effets-listes, rattache en profondeur Džunić à Rabelais dans la plupart de ses ouvrages en prose. Par ailleurs, ce procédé narratif qui donne lieu à de prodigieuses incantations verbales, est aussi l’espace textuel le plus propice pour observer les différences profondes qui opposent cet auteur à Bulatović. En effet, ce qui prime dans les accumulations verbales de Džunić, c’est leur aspect jubilatoire[54], alors que le mouvement de la parole foisonnante est chez Bulatović essentiellement régi par le principe de la destruction. Nous ne citerons à l’appui que Petar Pijanović qui, dans son analyse de la « dispersion narrative » bulatovićienne (laquelle implique l’omission de certains signes d’orthographe, et notamment de virgules), remarque que la pulsation accélérée et frénétique de la phrase devient l’analogon d’une force dévastatrice régissant son univers.[55]

Les différences entre les deux auteurs sont encore plus marquantes dans leur approche du mythe. Alors que chez Bulatović les mythes sont identifiés au mensonge et à l’illusion, stigmatisés en tant que pâtures offertes aux idéologies, qui tendent toutes à asservir l’homme, chez Džunić l’accent est déplacé vers le mythe en tant que manifestation d’un besoin de sacré qui ne s’éteindra jamais en l’homme, bien que notre civilisation moderne s’emploie à l’oblitérer. Dans le sillon d’Eliade rappelant que « l’idée d’un cosmos désacralisé » est une « découverte récente de l’esprit humain »[56], Džunić soutient que le mythe reste gardien d’une sorte de transcendance. Les mythes ont donc chez cet auteur une importance fondamentale pour l’ascension spirituelle de l’homme,  non seulement car ils ne cessent de nourrir son imaginaire mais aussi car ils structurent son système de valeurs.

Les romans Medovina [Nectar, 1979] et Vasilijana [Vassilianne, 1990], avec leurs histoires plongées dans les temps immémoriaux et l’abolition des fron­tières entre les morts et les vivants, démontrent que le mythe régit en profondeur l’édifice narratif džunićien. Seule la description de l’espace garde dans ces romans des traces de visées mimétiques, alors que tous les autres éléments se structurent, comme le fait observer Radivoje Mikić, selon les principes d’un nouveau modèle narratif faisant fusionner le réel avec le fantastique folklorique, les légendes et le mythe.[57] Qu’une réactiva­tion originale de mythes fondateurs et de « pensée sauvage »[58] des populations balkaniques, plus concrètement de croyances et de rites encore vivants dans certaines parties de la Serbie orientale, ait fait de Slo­bodan Džunić un représentant authentique du réalisme magique, c’est ce qui est signalé par nombre de critiques, pour ne mentionner ici que Marko Nedić[59] et Pavle Zorić[60]. En observant que cet écrivain introduit dans la littérature serbe la magie d’un vieux monde, plongé parfois dans la nuit des temps, avec ses sortilèges, miracles et savoirs oubliés, et qui fait songer à la magie baroque de Gabriel Garcia Marquez, ils tiennent à préciser que « le réalisme magique » de Džunić est original, autochtone. En effet, il prend racine dans les strates profondes de la culture serbe et se développe hors de toute influence des grands auteurs latino-américains, bien avant que ne soient parues les premières traduc­tions de leurs ouvrages.

Dans ses travaux consacrés à l’usage du mythe dans l’écriture de Slobodan Džunić, Ana Marković[61] démontre que les éléments mytholo­giques, qui chez cet auteur ne se manifestent initialement qu’au niveau thématique, finissent par se transformer en principaux ressorts structurant son édifice narratif. Une fois transmués en piliers de l’organisation actan­tielle du récit, ils contaminent plusieurs plans et participent du réseau global de sens. Au niveau du style, cette vision mythique du monde est hypostasiée dans la forte récurrence de leitmotivs ayant pour fonction d’objectiver, dans la syntaxe narrative, l’idée de retour éternel. Selon Ana Marković, un tel usage du mythe démarque Džunić non seulement dans le contexte de la littérature serbe, mais aussi dans le contexte de la littérature européenne [62].


En guise de conclusion, nous pourrions dire que les espaces tex­tuels portant l’empreinte d’un intertexte rabelaisien sont révélateurs, non seulement d’une cohérence profonde des univers romanesques de Bulato­vić et Džunić, mais aussi des enjeux différents et des orientations opposées de leurs projets narratifs respectifs.
[63] Plus concrète­ment, ce qui les unit au-delà de l’intertexte rabelaisien, c’est un rapport de complémentarité : la voix criarde, pleine de révolte et de fureur de Bula­tović, trouve ses meil­leurs accents dans l’histoire qu’il raconte sur son temps, alors que la voix exaltée de Džunić, ne cessant de magnifier la vie et la roue éternelle du monde[64], réussit ses plus riches sonorités dans l’évocation de profondeurs des temps mythiques. D’un côté, l’« anarchisme bouffon » et le « lyrisme apocalyptique », traversés par les éclats d’un rire sardonique et diabo­lique ; de l’autre, le lyrisme diony­siaque, l’acquiescement au monde et les résonances d’un rire de fête qui réactualise la joie d’exister. Ces tonalités et significations opposées que Miodrag Bulatović et Slobodan Džunić ont réussi à donner aux figures esthétiques qui les apparentent à Rabelais sont autant de preuves de l’originalité de leurs écritures et de leurs visions du monde, que d’un pro­fond – et fertile – enracinement de la littérature serbe dans ce que la litté­rature européenne a de meilleur.


Резиме
 
pаблеовска сазвучја у српској књижевности

Трагови раблеовског интертекста се у српској књижевности XX века могу уочити код Миодрага Булатовића и Слободана Џунића. Они су видљиви не само у њиховом афинитету према фигури инверзије, у честим хиперболизацијама, карневалском духу и гротескном деформисању ликова и догађаја него и у једном свепрожимајућем смеху. Док је у роману Херој на магарцу, који карактерише спој озбиљног и бурлескног, трагедије и фарсе те пародијско третирање библијских тема, утицај Раблеовог романа најуочљивији у ругалачком смеху и духу оспоравања помоћу којих Булатовић руши владајуће књижевне каноне, разобличава лажне митове и извргава руглу догматску свест, у пантеистички интонираном роману Пагани Слободана Џунића, који је натопљен дионизијском радошћу и лудичким витализмом, раблеовска сазвучја су најосетнија у бурлескним репликама низа библијских топоса и у радосној рехабилитацији телесног и овоземаљског. Побуна против идеолошких химера код Булатовића се исказује кроз субверзивни смех и церек натопљен нихилизмом, док непристајање на опсене којима се подјармљује људско биће, биле оне идеолошке или религијске, код Џунића свој најбољи израз налази у кликтавом и радосном смеху који слави живот у свим његовим облицима.

Кључне речи

Рабле, Булатовић, Џунић, гротеска, карневалски дух, смех, субверзивни, радосни, мит.

Summary
rabelaisian resonance in serbian literature

Traces of the Rabelaisian intertext can be revealed in Miodrag Bula­tović’s novel Hero on a Donkey and are accentuated by the grotesque and hyperbole, an amalgam of gravity and burlesque, an interplay of trag­edy and farce, the parodic use of biblical themes and most varied forms of ideological narrative. In order to dispel false myths, defy literary can­ons and deride the dogmatic mind, this author of a highly argumentative and destructive spirit makes use almost exclusively of the ridicule and “subversion” from the Rabelaisian broad spectrum of laughter. In Slobodan Džunić’s novel The Pagans, where a Rabelaisian resonance is manifested in the inversion, the carnival spirit and the replication of some bibli­cal themes, a refusal to accept chimeras – either ideological or religious – is not expressed through sneering and nihilism, but through cheerful and happy laughter glorifying life in all its manifestations, drawing on the rich heritage of folk literature and mythological representations of the pagan world.

Key words

Rabelais, Bulatović, Džunić, grotesque, carnival spirit, subversion, cheerful laughter, myth.


NOTES

[1] En Stanislav Vinaver se trouvent merveilleusement unis le poète inspiré, qui a l’audace de créer de nouveaux mots et de nouveaux rythmes, et l’artisan méticuleux, qui ne néglige aucun élément dans son projet traducteur. Si certaines parties, et notamment les passages contenant des effet-listes, donnent l’impression que le traducteur, emporté par son imagination linguistique débridée, produit de « belles infidèles » et éloigne ainsi le texte d’arrivée de l’original, les analyses récentes démontrent que cette liberté en apparence excessive s’avère toujours obéissante à des exigences rigoureuses. En d’autres termes, au niveau macrostructural, la traduction vinaverienne ne trahit jamais l’esprit rabelaisien. Voir : Tatjana Đurin, « Un festin serbe à la table de Rabelais, Filološki pregled [Revue de philologie], XXXVI, 2009, n° 2, Belgrade, p. 267-274.

[2] C’est en effet le titre original en serbe. Dans la version française, le recueil paraît sous le titre Arrête-toi, Danube, traduit  par Claude Bailly, Paris, Seuil, 1968.

[3] Dans le regard de Muharem qui languit après elle, Ivanka apparaît non seulement comme la plus belle, mais aussi « la plus grande mariée du monde » : avec une fleur « géante » dans sa main, « si haute qu’elle touchait le ciel et le soleil de son front ». Miodrag Bulatović, Le Coq rouge, traduit du serbo-croate par Edouard Bœglin, Paris, Seuil,  1963,  p. 262.

[4] Ainsi le ventre hypertrophié de la jeune mariée que les paysans ivres se mettent à gaver, ne cesse de grandir, se gonfle de plus en plus, devient démesurément gros « et cela n’étonne personne », Miodrag Bulatović, op. cit., p. 65.

[5] Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, traduit du russe par Andrée Robert, Paris, Gallimard, 1976, p. 32.

[6] Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 57.

[7] Ibid., p. 48.

[8] Ce roman aurait dû paraître à Belgrade en 1965, dans la maison d’édition « Kultura », mais comme il fut interdit de publication, il paraît pour la première fois à Rijeka, en 1967.

[9] Petar Pijanović, Poetika groteske. Pripovedačka umetnost Miodraga Bulatovića [Poétique du grotesque. L'art de narrer de Miodrag Bulatović], Belgrade, Narodna knjiga / Alfa 2001, p. 441.

[10] Nom donné à ce roman par son commentateur français Claude Ernauld : « Miodrag Bulatovic : Le Héros à dos d’âne », Les lettres nouvelles, mars-avril 1966, p. 174-176.

[11] En serbe : « Petit ».

[12] Miodrag Bulatović, Le Héros à dos d’âne, traduit du serbo-croate par Claude Bailly, Seuil, 1965, p. 301.

[13] Ibid., p. 97.

[14] Ibid.

[15] Ibid., p. 138.

[16] Ibid., p. 296.

[17] Ibid., p. 332.

[18] « Je suis indestructible, car derrière moi se tient le peuple soulevé ! […] Indestructible, fort comme tous les communistes ! » Ibid., p. 114.

[19] Ibid., p. 139.

[20] Voir : Zoran Sekulić, Bule ptica rugalica [Bule oiseau railleur], Subotica, Oktoih Unireks, 1992,  p. 51.

[21] Petar Pijanović, op. cit., p. 247.

[22] Dénonçant les vices de son époque,  il constate avec amertume qu’à « l’homme de notre temps il ne reste plus que la guerre et la pornographie » qui d’ailleurs ne sont guère différents : « c’est une seule et même chose », Miodrag Bulatović, Le Héros à dos d’âne, p. 253.

[23] Qu’on songe seulement à la scène où Marika (la prostituée locale), implorant le colonel italien « de lui faire un enfant », s’écrie que cet enfant ne doit pas être « comme les autres » ; ça doit être « un amiral » : «N’oublie pas que je suis Monténégrine, et que nous autres, nous tenons beaucoup aux titres et aux grades », ibid., p. 106.

[24] Ibid., p. 76.

[25] Ibid.

[26] Miodrag Bulatović, Le Coq rouge, p. 169.

[27] « Je regrette infiniment qu’il y ait deux mots pour désigner une notion unique. »  Miodrag Bulatović, Le Héros à dos d’âne, p. 253.

[28] « La liberté est arrivée et nous aurons des ânes tant que nous en voudrons », ibid., p. 354.

[29] Le roman Gullo Gullo, traduit du serbo-croate par Jean Descat, Paris, Belfont, 1985.

[30] Petar Pijanović, op. cit., p. 247.

[31] Ibid., p. 53.

[32] « Livre déprimant, répugnant, fourmillant de malheurs factices. Bulatović attise d’une manière ignoble, pamphlétaire, les plus viles passions [....]. » Milivoje Marković, Raskršća romana. Jugoslovenski roman 1975-1981. [Carrefours du roman. Le roman yougoslave 1975-1981], Priština, Jedinstvo, 1982, p. 43.

[33] Ibid.

[34] Tristan Renaud,  « Fête de la dérision », Les lettres françaises, 5 mars 1969, p. 4.

[35] Cet avis d’Arthur Lundkvist figure dans le texte de présentation sur la quatrième de couverture du roman de Bulatović.

[36] André Clavel, « Où l’homme est un loup pour l’homme », Journal de Genève, 7 décembre 1985.

[37] Victor Hugo, Préface de Cromwell, Paris, Larousse / VUEF,  2001, p. 22.

[38] Petar Pijanović, op. cit., p. 247.

[39] Le persiflage et la transgression n’étant pas chez le grand humaniste, comme le sou­ligne Michael Screech, que « des étapes sur une voie continuée vers le perfectionnement de l’homme », Michael Screech, Rabelais, Paris, Gallimard, coll. « Tel », traduit de l’anglais par Marie-Anne de Kisch, 1992, p. 81.

[40] Il a publié dix recueils de nouvelles, neuf romans, un recueil de poésie et une prose lyrique.

[41] Il n’est pas sans intérêt de noter que ce roman, paru en 1959, fut sélectionné, avec Le Coq rouge de Bulatović, pour le prestigieux prix littéraire de Nin. Le jury n’ayant pu se mettre d’accord pour arrêter son choix, le prix ne fut point décerné.

[42] Au moment où les pulsions agressives risquent de s’emparer d’habitants de Sprudište, c’est knez Bezum (dont le nom signifie « écervelé », « fou », celui qui agit d’une manière irrationnelle) qui réussit à les réconcilier et à leur faire oublier leurs discordes.

[43] Rabelais chante l’hymne au pantagruelion, cette plante « mirifique » (qui en réalité n’est rien d’autre que le chanvre ou le lin) ; Džunić chante une ode au grain de blé.

[44] Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 28.

[45] Voir : Stanislav Vinaver, postface, in Borisav Stanković, Le Pays natal, traduit du serbe par Vladimir Adré Cejovic, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2007, p. 203-213.

[46] Walter  Benjamin, Œuvres, II,  Paris, Gallimard, 2000,  p. 259.

[47] Voir : Dragan Lilić, « Frazeološke inovacije u prozi Slobodana Džunića » [Les innovations phraséologiques dans la prose de Slobodan Džunić], Pirotski zbornik 21, Pirot, 1995, p. 119-129 et (du même auteur), Frazeologija Slobodana Džunića, [La Phraséologie  de Slobodan Džunić], éd. Pisci i jezik, 4, Niš, 2009.

[48] Branko Peić, « Svečanost putenih radosti » [Une fête de joies charnelles], Književne novine, 4. IX. 1965.

[49] Cet ouvrage de Romain Rolland paraît devant le lectorat serbe dans une excellente traduction de la plume de Milan Bogdanović.

[50] Marko Nedić, « Proza Slobodana Džunića u kontekstu književne savremenosti i književne tradicije » [La prose de Slobodan Džunić dans le contexte de la modernité et de la tradition littéraire], in Pirotski zbornik 21, Pirot, 1995, p. 87-97. Voir aussi : Marko Nedić, « Pripovedanje Slobodana Džunića », in Osnova i priča: ogledi o savremenoj srpskoj prozi, [La narration de Slobodan Džunić, in La Trame et le récit, essais sur la prose moderne serbe], Belgrade, Filip Višnjić, bibl. Albatros, 2002, p. 17-39.

[51] Slobodan Džunić, Kurjak, Samostalno izdanje autora, Belgrade, 1971, p. 5.

[52] Politika, 2 octobre 1971.

[53] Romain Rolland, Colas Breugnon, Paris, Albin Michel, Livre de Poche, 1996, p. 19.

[54] Dans ses ouvrages ultérieurs, et notamment dans son roman Vetrovi Stare planine [Les Vents de la Vieille montagne], considéré comme le sommet de sa production littéraire, les effets-listes portent l’empreinte d’une autre préoccupation rabelaisienne – « ethnographique ». Ces incantations verbales sont en effet de véritables inventaires culturels. Aussi l’œuvre de Džunić fait-elle l’objet non seulement d’analyses littéraires et linguistiques mais aussi de recherches ayant lieu sur la frontière entre littérature et ethnologie. Voir : Dragan Žunić, « Mitski i demonski svet u književnosti », in Mitski i demonski svet, kultna mesta i objekti u duhovnoj i materijalnoj kulturi [Le monde mythique et démoniaque dans la littérature, in Le Monde mythique et démoniaque, les lieux de culte et les objets dans la culture spirituelle et matérielle], Etno-kulturološki zbornik, knjiga VII, Etno-kulturološka radionica, Svrljig, 2001 / 2002, p. 125-131.

[55] Dans l’inondation qui emporte tout dans son tourbillon, le héros, asphyxié, se noie littéralement. Petar Pijanović, op.cit.

[56] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, coll. Folio / Essais, (1957), 2008, p. 19.

[57] Voir Radivoje Mikić, « Slika sveta u pripovetkama Slobodana Džunića » [Vision du monde dans les nouvelles de Slobodan Džunić], in Slobodan Džunić, Ispod Mrtvačkog mosta [Sous le pont sépulcral], Niš, Prosveta, 1996, p. 323-348. Voir aussi : Radivoje Mikić, « Motivacija slike sveta i načina pripovedanja u prozi Slobodana Džunića » [Motivation de la vision du monde et des procédés narratifs dans la prose de Slobodan Džunić], in Opis priče : ogledi o umetnosti pripovedanja [La Description du récit : essais sur l'art de narrer], Niš, Prosveta, 1998, p. 149-195.

[58] Au sens que Claude Lévi-Strauss donne à ce terme, voir : La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962.

[59] Marko Nedić, « Pripovedanje Slobodana Džunića » [L’art de narrer de Slobodan Džunić»], in Osnova i priča: ogledi o savremenoj srpskoj prozi [La Trame et le récit, essais sur la prose moderne serbe], Belgrade, Filip Višnjić, bibl. Albatros, 2002, p. 18.

[60] Slobodan Džunić, Izabrane pripovetke [Nouvelles choisies], Belgrade, SKZ, 1986. Choix et préface de Pavle Zorić, p. XIII.

[61] Ana Marković, « Poetika mitologizacije u delu Slobodana Džunića » [Poétique de la mythologisation], Povelja, Kraljevo, XXXIX, n° 2/2009, p. 131-137.

[62] Ibid. Voir aussi : Ana Marković Šargić, Mit u romanu : postupak mitologizacije Slobodana Džunića [Le Mythe dans le roman : procédé de la mythologisation], Belgrade, Albatros plus, 2011.

[63] Les profondes différences séparant les deux auteurs concernent aussi bien ce qui est au cœur de leurs univers que leurs personnalités et leurs fortunes littéraires.

[64] Cette observation n’est valable que pour les ouvrages analysés dans ce travail.


Publié sur Serbica.fr le 27 juillet 2012

Pour citer cet article :

Džunić Drinjaković, Marija, « Les résonances rabelaisiennes dans la littérature serbe », in Srebro, M. (dir.), La littérature serbe dans le contexte européen : texte, contexte et intertextualité, Pessac, MSHA, 2013, p. 251-266.

Document mis en ligne le 27 juillet 2012 sur le site http://www.serbica.fr

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